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des dons ou des legs leur ayant été laissée, ou l’autorisation leur en ayant été souvent accordée, plusieurs couvens sont redevenus propriétaires de vastes immeubles. Ce sont ces débris de leur ancienne fortune ou ces récentes acquisitions dont beaucoup de Russes voudraient enlever aux monastères la jouissance pour en faire profiter la bienfaisance ou l’instruction publique. L’emploi des biens ou des ressources des couvens n’était pas jusqu’ici à l’abri de tout reproche. La distribution en était inégale, une part démesurée était souvent attribuée au supérieur aux dépens des moines. A Saint-George de Novgorod, l’archimandrite touche, assure-t-on, 8,000 roubles (32,000 francs). Dans d’autres couvens de première classe, les revenus du supérieur dépassaient le double et le triple de cette somme. C’est à ces inégalités que doit remédier la réforme en préparation au profit des monastères en même temps que du public.

Les biens qui leur ont été laissés et la subvention qu’en échange des autres, leur alloue l’état ne forment d’ordinaire que la moindre partie des ressources des couvens. Ils ont conservé la principale branche des revenus monastiques, les offrandes. Les moines se sont maintenus en possession de la plupart des reliques et des images miraculeuses de la Russie. Ce double avantage attire de tous côtés à leurs églises des pèlerins et des aumônes. Le pèlerinage est encore en grand honneur chez le peuple russe : c’est un des traits de ses mœurs qui rappellent le plus l’Orient et le moyen âge. Il est peu de paysans qui n’aient l’ambition de visiter Troïtsa ou Petcherski : en Palestine même, les pèlerins russes sont plus nombreux que tous ceux des autres nations ensemble. A certaines époques, il part d’Odessa pour Jaffa ou Le Carmel, ou pour le mont Athos, des bateaux presque uniquement chargés de mougiks. Les Lois qui l’enchaînent à la terre et à la commune mettent seules des bornes au goût du paysan pour les pieux voyages. Aucune distance ne l’effraie : on a vu des femmes et des vieillards, auxquels les règlemens rendent l’absence moins difficile qu’aux jeunes gens, aller ainsi à pied de Sibérie à Kief, et des bords du Don ou du Dnieper à ceux de la Mer-Blanche. Dans les grands sanctuaires, à Troïtsa et à Petcherski, les pèlerins se comptent annuellement par centaines de mille, qui tous brûlent un cierge et laissent une obole. Lors de certaines fêtes, ces agglomérations d’hommes deviennent même un danger pour la santé publique, et comme dans les grands pèlerinages de l’Inde, de la Perse ou de l’Arabie, le choléra semble avoir parfois pris son point de départ en Europe, à Kief, parmi les pèlerins.

En dehors de ces grands pèlerinages, il est peu de couvens qui n’attirent des visiteurs aux pieds d’une image vénérée : si tous ne peuvent venir à elle, l’image va au-devant des fidèles. Les Vierges