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laures, le chiffre légal est d’environ 100 religieux, les novices et les frères lais non compris, ce qui double en réalité l’effectif monastique. Dans les stavropigies et les couvens de premier rang, le maximum légal descendait à 33 professes. D’après la réforme en projet, la limitation du nombre des moines serait abandonnée pour les couvens des campagnes et pour les principaux des villes. Dans les autres, le nombre des religieux serait restreint de manière à ne plus garder que ce qui est nécessaire au culte. Les couvens de 1re classe n’auraient plus que 18 moines, ceux de 2e 13, ceux de 3e 10. Le but de cette réforme est, en diminuant la population des monastères, d’en alléger le budget. Les maisons religieuses étant astreintes au régime de la communauté, l’excédant de leurs revenus serait employé à l’augmentation du temporel des évêques, en secours aux pauvres du clergé, à la création d’hospices ou d’écoles.

On entend encore en Russie parler des richesses des couvens : il faut savoir ce que sont ces richesses. Les monastères russes ont perdu la plupart de leurs terres, ils ont conservé les objets mobiliers, les présens, les ex-voto, amoncelés dans leur sein depuis des siècles. Rien en Italie ou en Espagne ne peut plus donner une idée de ces splendeurs ; l’or et l’argent revêtent les châsses des saints et l’iconostase de l’autel, les perles et les pierreries couvrent les ornemens sacrés et les images. A Troïtsa, dans la sacristie ou vestiaire (ritsina), on a de tous ces dons sans emploi, joyaux, vases précieux, étoffes tissées d’or et de perles, objets d’art de toute sorte, formé un musée qui en Europe n’a d’autre rival que la sacristie patriarcale de Moscou. Outre ce trésor, les caves de Troïtsa contiennent encore, dit-on, des amas de perles et de gemmes non montées. Ces richesses incomparables appartiennent aux images et aux églises : les moines n’en sont que les gardiens, et peuvent vivre pauvres au milieu d’elles. Jadis les couvens possédaient de vastes domaines : les terres et les villages s’étaient accumulés dans leurs mains aussi bien que les pierres et les métaux précieux. Dans la sainte Russie comme partout, l’état dut de bonne heure chercher à contenir l’extension des biens ecclésiastiques. Les derniers princes de la maison de Rurik avaient déjà posé des bornes à la propriété monastique. Le tsar Alexis en retira l’administration aux couvens, Pierre le Grand en retint une partie des revenus, Catherine il s’en fit concéder l’abandon par le clergé. Les biens incamérés par la tsarine en 1764 comptaient près d’un million d’âmes, les femmes non comprises, selon le système de dénombrement russe. Les deux tiers appartenaient aux moines : Troïtsa seul avait 100,000 paysans mâles. Les villages des couvens leur furent enlevés ; on leur laissa des biens sans serfs, des moulins et quelques terres labourables, des prairies ou pâturages, des étangs et des pêcheries, surtout des forêts. La faculté de recevoir