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et le moine sans le savoir se réveillait tonsuré et vêtu de l’habit monastique. Ce fait se passait à l’académie de Moscou, sous le métropolite Platon, au commencement du siècle. Quand ils seraient authentiques, de pareils traits appartiennent à un monde déjà évanoui. D’ordinaire il n’est pas besoin de tant de ruses ou d’efforts ; l’amour-propre et les misères de la vie du pope suffisent à défaut de la piété pour faire prendre l’habit religieux aux sujets qu’on a le plus d’intérêt à en revêtir. Une fois ses vœux prononcés, rien de plus facile, de plus rapide, que la carrière du séminariste devenu moine. La loi n’admet les hommes aux vœux monastiques qu’à trente ans ; pour l’élève des académies, la limite légale s’abaisse à vingt-cinq ans ; pour lui, il n’y a point de noviciat. Ses études terminées, il est nommé inspecteur ou professeur de séminaire ; il devient ensuite supérieur ou recteur, et de fonctions en fonctions il peut parvenir à l’épiscopat avant même d’avoir atteint la maturité de l’âge. Ces privilégiés arrivent parfois aux hautes dignités sans avoir jamais mené la vie du cloître, sans presque y avoir vécu. A proprement parler, ce sont moins des religieux que des prêtres voués au célibat et à l’abstinence, et ils ne sont comptés comme moines que parce qu’en Russie le célibat n’est d’ordinaire admis que sous l’égide du régime monastique.

La plèbe des moines a un genre de vie tout différent. Pour eux, point de carrière, une existence monotone, le plus souvent remplie de pratiques minutieuses. L’entretien de leurs couvens, le service de leurs églises, le chant des longs offices du rite grec, voilà la principale occupation de leur vie ; le travail des bras ou de la tête n’y tient encore qu’une place secondaire. Jusqu’à ces derniers temps, le régime de la communauté était rare parmi les moines russes ; plusieurs patriarches ou métropolites s’étaient en vain efforcés de le répandre. La plupart des couvens étaient une réunion d’hommes vivant sous le même toit sans pour cela vivre en commun. On priait ensemble, d’ordinaire on mangeait ensemble, mais chacun avait son pécule, sa part des revenus du monastère, et en disposait à son gré. Aujourd’hui le saint-synode a l’intention d’introduire dans tous les monastères le régime de la communauté avec une discipline plus sévère. C’est l’autorité ecclésiastique centrale, et par suite le gouvernement, que regarde la réforme monastique. Les couvens en Russie ne sont point des établissemens particuliers : c’est une institution nationale, une sorte de service public. Dans un gouvernement autocratique, de pareilles associations ne peuvent vivre qu’à la condition d’accepter la tutelle gouvernementale. De là en partie l’abrogation des couvens des autres cultes. Comme l’église dominante, la vie monastique a été soumise par le pouvoir à la réglementation bureaucratique. Loin d’être, comme en Occident, de libres