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tordre le cou ; mais mon neveu de France me défendrait, puisqu’il veut bien vous ouvrir un asile dans son royaume. » En effet, le comte de Vergennes, ministre d’état, avait été mis par Louis XVI aux ordres de sa tante. À cette époque, elle trace d’elle-même un portrait qui, pour n’être pas flatté, n’en est pas moins exact : « Votre servante est fort petite, grosse tête, grand front, sourcils noirs, yeux bleus-gris-brun, nez long et crochu, menton fourchu, grosse comme une boule et bossue. On dit cependant que, depuis qu’elle est revêtue de l’élégant habit du Carmel, sa bosse ne paraît que peu. » Mais, entre tant de passions qui la consumaient, la plus ardente était peut-être celle des reliques. Elle avait une sorte d’amour maladif pour les corps saints : sans trêve ni merci, elle en réclamait au pape, aux cardinaux, aux ambassadeurs, à tout le monde. Pour sainte Thérèse, il fallut bien se contenter d’un « fragment considérable de chair, » mais quant au commun des saints c’étaient des corps entiers qu’on lui adressait de tous côtés : le monastère de Saint-Denis en était à la lettre encombré. M. de Mac-Mahon, parent de Julienne de Mac-Mahon, qui, on l’a dit, avait été l’ange de la princesse, lui fit la gracieuseté d’envoyer de Rome un corps de sainte qu’il mit dans une « caisse à son adresse. » Bien que l’abbé de Landen n’eût rien négligé pour faire « emballer » la sainte (je me sers des expressions de la carmélite), on l’annonçait toujours et elle ne paraissait jamais : grande inquiétude à Saint-Denis ; enfin sainte Justine arriva après six semaines de séjour « à la douane, » encore « le ballot » manqua-t-il d’être ouvert par les douaniers, fort curieux de savoir ce qu’il renfermait.

Ce serait même à ce goût pour les reliques qu’il conviendrait d’attribuer la cause de la mort tragique, du martyre de la carmélite. Le mot était déjà dans l’abbé Proyart, mais on pouvait le prendre pour une métaphore. Suivant l’opinion des contemporains, c’était l’édit royal de novembre 1787, rendant l’état civil aux protestans, qui avait avancé les jours de Madame Louise : la pureté de la foi lui semblait mise en péril par le rappel des hérétiques en France. Que des réprouvés méritassent d’être traités comme des hommes, voilà ce qu’il lui répugnait d’admettre. Après avoir consacré sa vie à la défense de l’église romaine, au triomphe de la plus pure orthodoxie ultramontaine, elle se sentit frappée deux fois à mort par cet édit doublement sacrilège, puisque c’était un fils de saint Louis qui l’avait signé. Elle se rappelait certaine maxime tirée des Enseignemens du saint roi à son fils, qu’en sa jeunesse elle avait transcrite pour l’avoir toujours présente : « chassez-en (de votre état) les hérétiques[1]. » Que les temps étaient changés ! La sœur Thérèse

  1. Méditations eucharistiques, par Madame Louise de France, dédiées, à Madame Adélaïde (Paris 1789), p. 257. Ce précepte des Enseignements est authentique.