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schisme arrivent à grands pas, et depuis lors la papauté resta sans doute une institution puissante avec laquelle les hommes d’état durent toujours compter, mais une institution irrévocablement abaissée quand on la compare à ce qu’elle était au temps où la chrétienté occidentale tout entière s’inclinait humblement devant des arrêts qui lui semblaient dictés par le ciel même. On ne peut contester que le traitement barbare qu’elle infligea d’abord au catharisme, puis à tous les mouvemens d’indépendance religieuse, acheva dans une foule d’esprits la désillusion que les mœurs dissolues d’un trop grand nombre de prêtres avaient commencée.

À ce point de vue, le catharisme, quoique vaincu, tient une place importante parmi les facteurs du monde moderne ; mais n’exagérons rien, et reconnaissons qu’il était incapable de servir de berceau à la société nouvelle qu’enfantait le moyen âge. Pas une seule grande œuvre de pensée, pas un de ces monumens imposans qui affrontent le vandalisme des persécuteurs et lui survivent n’est sorti de là. Si nous oublions un instant ce qu’il y eut de tragique dans ses destinées, que trouvons-nous dans le catharisme ? Une métaphysique puérile, irrationnelle, une mythologie plutôt qu’une doctrine, plus de vieilleries que de nouveautés. Le dualisme dont, sous toutes ses formes, il est pénétré correspond à un point de vue inférieur de l’esprit, et ses conséquences sont toujours funestes : il mène infailliblement à l’ascétisme considéré comme la perfection de l’être humain. En effet, il s’agit toujours, en conformité d’un tel principe, de tuer la vie physique, mauvaise, criminelle en elle-même, élément, non pas seulement inférieur, mais satanique, essentiellement damnable, de la nature humaine. Le mariage, par conséquent la vie de famille, se voient compris parmi les diverses formes de la servitude infernale, et le devoir est d’en sortir, dès et autant qu’on le pourra. Le jeûne poussé jusqu’à l’extravagance, un tas de ridicules abstinences, s’élèvent à la hauteur d’actes sacrés. Comment le monde moderne, dont la grande loi est le travail, pourrait-il s’accommoder d’un pareil idéal ? Il est vrai que le catharisme admet deux morales, l’une pour les parfaits, l’autre pour les simples croyans. C’est encore du dualisme, et du pire. Il n’y a qu’une morale, dont tous sont tenus de réaliser, de leur mieux les exigences, et rien au fond n’est plus démoralisant que de présenter comme moral et satisfaisant un état de choses où la grande majorité croit rester dans la règle en restant dans sa corruption. Supposons un instant que, par impossible, le catharisme fût devenu la religion dominante en Europe. Que serait-il arrivé ? Il n’était pas moins sacerdotal que le catholicisme, c’est-à-dire que, comme l’église catholique, il faisait dépendre l’union avec Dieu de l’union avec le prêtre, et que, comme elle, il niait qu’il pût y avoir un autre intermédiaire