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et chez l’archevêque de Paris : c’est de là que partaient les calomnies les plus envenimées, les plus sûres d’atteindre la reine, d’empoisonner sa vie, de salir sa mémoire[1].

Ce n’était pas toujours assez au gré de sœur Thérèse de Saint-Augustin : elle se jetait alors sur sa plume, et, parlant à la fois le langage d’une fille de France et d’une fille de l’église, elle écrivait à l’Autrichienne quelqu’une de ces lettres fanatiques et impérieuses dont parlent les contemporains. Ne s’agissait-il point de « sauver la religion, » toujours menacée par le parti de Choiseul, cet antechrist ? Naturellement les tantes n’en faisaient pas moins bon visage à leur nièce : elles l’invitaient à dîner en leur château de Bellevue, elles allaient avec la cour à Fontainebleau ; Madame Victoire sollicitait des places d’ambassade, Madame Adélaïde demandait des évêchés et des abbayes pour ses bons amis, Madame Sophie osait réclamer un régiment pour quelque petit écuyer de sa maison, mais la plus infatigable solliciteuse et quémandeuse était Madame Louise. « Voici encore une lettre de ma tante Louise, s’écriait souvent Marie-Antoinette : c’est bien la petite carmélite la plus intrigante qui existe dans le royaume[2]. » Quand on songe que la sœur Thérèse de Saint-Augustin, à bout de calomnies contre sa nièce, ne fut pas moins ardente qu’Adélaïde pour la faire renvoyer dans sa famille, que Maurepas dut se décider à dénoncer au roi l’odieuse comédie, et que la reine n’ignorait rien de tous ces beaux projets, on avouera qu’elle n’a pas caractérisé en termes trop vifs la carmélite, et que, pour un apôtre de l’antechrist, elle pratiquait assez bien la plus chrétienne de toutes les vertus, la charité.

Des quatre dernières filles de Louis XV, Sophie mourut la première au commencement de mars 1782. Dans une lettre écrite le lendemain, Mme de Bombelles, dame d’Elisabeth, racontait que la princesse avait une hydropisie de la poitrine. « Elle est morte étouffée, de la même mort à peu près que l’impératrice. » On possède son testament : elle y demande que son corps ne soit pas ouvert, sinon aux pieds, que des prêtres et des filles de la charité le gardent vingt-quatre heures, qu’il soit ensuite porté à Saint-Denis, sans pompes ni cérémonies, pour être réuni à ceux de ses père et mère comme une marque de son respectueux attachement à leur personne. En 1776, elle avait acquis avec Adélaïde l’un des plus beaux domaines de Champagne, la terre de Louvois, que Louis XVI érigea pour ses tantes en duché-pairie : tous les documens relatifs à cette affaire, qui fut un événement considérable dans la vie de Mesdames,

  1. L’abbé Baudeau, Chronique secrète de Paris sous le règne de Louis XVI, dans la Revue Rétrospective, t. III, p. 281-285.
  2. Mme Campan, t. III, p. 89.