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habitans à se réfugier dans la cathédrale souterraine, espérant ainsi acculer dans une impasse tout ce qui restait de l’église hérétique. Cette opération accomplie, ils pénétrèrent dans la grotte. Lorsqu’ils arrivèrent au pied du grand talus intérieur, ils se virent accueillis par une grêle de flèches et de pierres, et par des cris sauvages qui les glacèrent de terreur. Leur chef ordonna la retraite, mais il fit murer l’étroit boyau qui fait communiquer l’étage inférieur avec le dehors. Lui et ses hommes montèrent la garde durant plusieurs jours à l’entrée de la grotte. Que se passa-t-il dans les entrailles de la montagne ? On l’ignore. Le plus probable est que ces immurés d’un nouveau genre se résignèrent à mourir tous ensemble plutôt que de tomber vivans entre les mains de l’inquisition. La grotte resta longtemps scellée, objet de l’effroi superstitieux des populations. On a trouvé des pots d’argile et des débris de légumes qui font croire qu’ils avaient quelques provisions, un petit étang souterrain leur fournit de l’eau pure ; mais ces ressources ne purent longtemps durer. Les restes humains abondent dans l’étage supérieur. Les suintemens de la voûte en tombant goutte à goutte les ont ensevelis dans une couche épaisse de stalagmites, comme si la montagne eût tissé de ses larmes à ses enfans martyrs un grand linceul de marbre. Ce sont les fouilles entreprises dans l’intérêt de la géologie qui ont révélé l’existence du grand ossuaire[1]. Cette nécropole d’Ornolac fait pendant à l’autre ossuaire cathare que l’on a découvert au fond des tours du château de Foix, où siégea longtemps l’inquisition. Il y avait là des oubliettes et des in pace jonchés d’ossemens humains, et, entre autres effroyables choses, on trouva un grand squelette attaché par le cou, les bras et les pieds à des anneaux scellés dans la muraille.

Le dirai-je ? ce squelette d’un mort qui expira dans ses fers et qui y resta me semble le lamentable symbole du catharisme dans son héroïsme à la fois et dans son impuissance finale. L’église albigeoise a droit au respect dû à toutes les sincérités, à toutes les grandes infortunes, à toutes les protestations courageuses contre la tyrannie temporelle ou spirituelle. La papauté, qui triompha d’elle, sortit affaiblie et déconsidérée par sa victoire même. En même temps que le catharisme s’éteint, la formidable théocratie de Grégoire VII et d’Innocent III tombe pour ne plus se relever. Philippe le Bel peut, sans craindre le sort de ses prédécesseurs, la défier, l’insulter, la réduire à la condition d’instrument de sa politique. Les jours du

  1. M. Peyrat fait observer à juste titre que, si cet amas d’ossemens était fossile, comme l’ont cru des antiquaires qui ne savaient pas que la grotte de Lombrives avait servi de refuge aux cathares proscrits, on devrait en trouver également et même en plus grande quantité dans la galerie inférieure, où les eaux les auraient évidemment entraînés.