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siècle ; mais elles, ces pauvres filles de France, simples échos de l’archevêché, que savaient-elles ? Plus impérieuse que jamais, violente, emportée, fière de sa faveur naissante, et comme étourdie par la chaleur de son sang de vierge qui lui montait au cerveau, Adélaïde ne dira bientôt plus au roi : « Vous plaît-il que cela soit, sire ? » elle dira : « Nous ferons ceci ou cela ! » Tous les matins, avant d’aller à la chasse, Louis XV descendait chez elle avec son café, qu’il faisait lui-même. Adélaïde tirait un cordon de sonnette pour avertir Victoire ; Victoire à son tour sonnait Sophie, et Sophie sonnait Louise. En quelques instans, les quatre sœurs étaient dans les bras ou sur les genoux de leur père. Louise, la pauvre infirme, dont l’appartement était le plus reculé, traversait en courant un grand nombre de chambres, arrivait, tout essoufflée, la dernière. Peut-être le roi donnait-il déjà à ses filles les singuliers petits noms d’amitié que l’on sait. Il ne déplaisait pas à la bonne et grasse Victoire de s’entendre appeler Coche. Adélaïde, qui dans une lettre se nomme elle-même Madame Torchon, avait été baptisée Loque, Sophie Graille, Louise Chiffe. Tous les soirs à six heures, au retour de la chasse, au débotté du roi, nouvelle visite des princesses à leur père, mais cette fois avec une sorte d’étiquette. « Les princesses, dit Mme Campan, passaient un énorme panier qui soutenait une jupe chamarrée d’or ou de broderies : elles attachaient autour de leur taille une longue queue, et cachaient le négligé du reste de leur habillement par un grand mantelet de taffetas noir qui les enveloppait jusque sous le menton. Les chevaliers d’honneur, les dames, les pages, les écuyers, les huissiers portant de gros flambeaux, les accompagnaient chez le roi. En un instant, tout le palais, habituellement, solitaire, se trouvait en mouvement : le roi baisait chaque princesse au front. » Telle était la vie ordinaire des filles de France dans ce grand palais de Louis XIV, qui déjà devenait désert et d’où la vie se retirait. Dès le 8 mars, la reine avait repris son éternel cavagnole. En juillet, Sophie commença de suivre les chasses à cheval. Peu à peu le souvenir de la morte tant aimée fuyait, s’évanouissait comme une blanche nuée dans l’azur d’un ciel de printemps.

A Parme, la « pauvre duchesse » ne pouvait oublier si vite. Avec Henriette, avec sa sœur jumelle, elle sentit qu’une partie d’elle-même avait cessé d’exister. Elle écrivit à son père la lettre la plus touchante, dit qu’elle voulait mourir en France, reposer près de sa sœur, dans le même caveau de l’abbaye. Elle revenait ; en septembre, elle revit tout ce qu’elle aimait sur la terre. La situation d’Elisabeth n’était guère meilleure que lorsqu’elle était arrivée de Madrid quelques années avant. C’était toujours cette « fille mal mariée, » humiliée, indigente, qui tirait au roi de grosses sommes d’argent, sollicitait de nouveaux secours ou un établissement