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l’infante, — le duché de Parme, Plaisance et Guastalla, Don Philippe n’en avait pas moins acquis le droit de dormir sur ses lauriers : il possédait un état et des sujets. Il était, il est vrai, sans ressources ; il avait un palais, et point de meubles, un palais ducal sans portes ni fenêtres, d’où l’on avait tout emporté, même les escaliers ! C’est au milieu de ces ruines princières, dans cette indigence magnifique, que l’infant attendait l’infante, sans grand empressement toutefois. Depuis huit ans qu’il ne l’avait revue, il était devenu maussade et très dissolu. Dans les camps, ses goûts s’étaient pervertis et comme égarés : c’était toujours un gentil cavalier, un dameret élégant et accorte, très tendre en paroles avec une âme fort sèche, mais de mœurs équivoques et peu sûres.

Madame Infante de son côté ne montra pas plus d’empressement à revoir l’infant ; elle passa par Versailles avant d’aller à Parme. Les bruits fâcheux qui couraient de par le monde sur don Philippe ne la touchaient guère. Sa belle-mère, la reine Elisabeth Farnèse, et la marquise de Lède, sa camarera mayor, avaient fait son éducation : l’infante n’avait point de préjugés. Elle n’était qu’excellente mère et fille du roi de France. Assurer la fortune de ses enfans et servir les intérêts de sa maison, telle fut jusqu’au dernier jour la plus grande, l’unique passion de sa vie entière. Tout le reste lui était assez indifférent. Si l’on songe que l’ambition fut presque sa seule religion, qu’elle n’eut d’autre dieu que son père, et que même la mort lui eût été douce, si en s’immolant elle avait pu procurer quelque bien aux siens, on ne s’étonnera point qu’à l’occasion elle n’ait pas été arrêtée par de vulgaires scrupules. Elle n’était point femme à joindre au mari le ragoût d’un galant : elle eut pourtant plus d’une aventure et ne passa jamais pour prude. Bien qu’elle ne fût pas belle, il est notoire qu’elle tourna la tête à deux ambassadeurs au commencement et à la fin de sa carrière politique, sans parler de l’abbé de Bernis. On peut croire que Madame Infante eut du goût pour les diplomates. Le premier, M. de Vauréal, évêque de Rennes, fut ambassadeur de France à Madrid pendant les sept ou huit ans d’absence de don Philippe. Disgracié, il reçut l’ordre de se rendre à son évêché sans venir à Versailles. « Il passe pour constant, écrit Argenson en mars 1749,que ce prélat a voulu conter fleurette à Madame. » Si l’on en croyait une chanson du temps, le roi d’Espagne aurait même fait expier bien plus cruellement encore à l’évêque de Rennes son renom de galant ; mais cette disgrâce arriva fort tard, à une époque où l’infante avait quitté Madrid et pouvait se passer des bons offices de l’ambassadeur de France. Le dernier amoureux, l’abbé de Bernis toujours excepté, est un marquis de Crussol, envoyé de France à Parme, qui perdit à ce point la tête qu’on le barricada dans sa chambre ; son cousin, le duc