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une seule année. Or la reines en bonne mère, les faisait volontiers gagner.

On s’accorde à reconnaître qu’à cette époque de sa vie, vers dix-sept ans, Madame Henriette n’avait rien de déplaisant en toute sa personne. Elle n’était pas belle et souffrait quelquefois du même mal que l’infante : le printemps, la bonne chère, l’oubli volontaire des ordonnances de Bouillac, prescrivant un régime rafraîchissant, faisaient éclater maints boutons, apparaître certaines gourmes fâcheuses sur la blanche peau de la princesse ; mais sa figure était noble et pouvait même passer pour agréable lorsqu’elle avait du rouge. C’était une douce personne, simple et vraie, pleine d’attention et de politesse pour tout le monde. Bien que moins gaie que Adélaïde, elle riait beaucoup plus. Il faut se bien garder de voir en elle je ne sais quelle héroïne sentimentale de Walter Scott. Ce n’était pas une sylphide romantique qu’Henriette de France ; les Bourbons ont le goût classique. Le marquis d’Argenson recueille bien, dès avril 1737, le bruit d’une alliance de cette princesse avec le duc de Chartres, fils du duc d’Orléans. Elle n’avait que dix ans à cette époque : le mal d’amour n’est point mortel à cet âge. En mai 1740, le mariage de « Madame seconde avec le duc de Chartres » semble très certain à notre chroniqueur ; malgré le cardinal Fleury, qui haïssait la famille d’Orléans, Louis XV regardait déjà le duc de Chartres comme son second fils. Cependant, quelques mois plus tard, le jeune homme chassait avec le roi dans je ne sais quelle forêt. Fort bien stylé par son père, il crut le moment favorable pour faire, de cheval à cheval, sa petite harangue à Louis XV : « Sire, j’avais une grande espérance. Votre majesté ne l’avait pas ôtée à mon père… Je contribuais au bonheur de Madame Henriette, qui serait restée en France avec sa majesté. M’est-il permis encore d’espérer ? » Le roi se pencha vers le prince et lui serra tristement la main par deux fois ; il refusait. Il paraît qu’en retournant vers son gouverneur le pauvre garçon « étouffait et crevait ; » il n’en épousa pas moins, trois ans plus tard, la fille du prince de Conti, Quant à Henriette, les ennemis du cardinal ne manquèrent pas de répéter qu’elle adorait en secret le duc de Chartres, qu’on avait laissé les deux jeunes gens s’aimer d’enfance, qu’on faisait le malheur de leur vie. C’est ainsi, disait-on, que les romans commencent. Eh bien ! non, il n’y eut pas de roman, et, pour rêver tant de belles choses, il fallait se méprendre étrangement sur la nature toute passive, presque végétative, de la princesse.

Certes il n’en eût pas été ainsi avec Adélaïde. Cette petite personne montrait déjà une vivacité, une ardeur d’imagination peu commune. Rien de la grâce fine et enjouée des enfans qui ont grandi, non sans précocité, dans une société toute mondaine. Elle