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sentiers secrets qui aboutissaient au pied des murs fut indiqué par des montagnards aux gens du sénéchal. Un détachement de l’armée royale s’engagea pendant la nuit sur cette échelle vertigineuse et surprit les gardes, qui ne s’attendaient pas à être attaqués de ce côté. Au bruit de la lutte, le sénéchal fait sortir une autre colonne de la tour de bois, la lance contre la poterne orientale, fait pleuvoir les pierres et les flèches du haut de sa gigantesque chatte, et bientôt Pierre Roger se vit forcé de se rendre. Les conditions furent que les hommes d’armes seraient livrés au sénéchal, les prêtres à l’archevêque de Narbonne, et que Pierre Roger pourrait se retirer avec son ingénieur, son chirurgien et toutes les valeurs qu’il pourrait encore emporter de Montségur. Au lever du soleil, les troupes royales prirent possession du château. Quelques-uns des plus hardis parmi les vaincus s’étaient laissés glisser le long d’un câble jusque sur les pointes de rocher du talus inférieur, et s’étaient dérobés dans les ténèbres. La plupart n’osèrent ou ne voulurent pas profiter de ce moyen d’évasion. L’évêque cathare de Toulouse donna la bénédiction suprême à l’assemblée des croyans, et bientôt on vit défiler la lugubre procession des évêques, diacres et parfaits, le patriarche Bertran d’En Marti en tête[1], que l’on conduisait au bûcher. Un assez grand nombre de femmes, dont plusieurs appartenaient à la plus haute noblesse, faisaient partie du funèbre cortège. On les mena sur un monticule voisin terminé par une esplanade qu’entouraient des rochers et des bois. Pendant qu’on élevait un bûcher colossal, l’archevêque de Narbonne et l’évêque d’Alby tâchèrent de les convertir, et, quand tout fut prêt, les sommèrent de reconnaître l’autorité du pape. Pour toute réponse, les cathares s’élancèrent en chantant un cantique sur le bûcher, qui brûlait déjà. Les catholiques entonnèrent le Veni spiritus, sans se douter certainement qu’ils ne pouvaient choisir d’hymne mieux approprié aux sentimens des suppliciés. Ceux-ci étaient 205. Encore aujourd’hui, quand on remue le sol de l’esplanade, on remet au jour des os calcinés mêlés à une poussière humaine.

Ceux des prisonniers qui appartenaient au sénéchal furent dirigés sur Carcassonne, où la prison perpétuelle les attendait. C’est pendant la semaine sainte de l’an 1244 qu’ils descendirent vivans dans leurs tombes. La persécution contre la secte, désormais réduite à l’impuissance, redoubla de violence. On fit la chasse aux faidits avec des chiens ; on appliqua sévèrement une mesure de la police inquisitoriale qui voulait que quiconque passait pour avoir trempé

  1. Une sculpture conservée au musée de Foix montre, en avant d’une forteresse que l’on commence à démolir, un personnage en costume d’évêque, la corde au cou, entre deux soldats qui le mènent au supplice. On croit qu’elle représente l’évêque cathare après la prise de Montségur.