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à la cour, comme dans le cloître, loin de ne laisser que des exemples des plus éminentes vertus, elle a maintes fois donné le spectacle le moins édifiant.


I

Tout a été dit sur Louis XV. La publication de correspondances et de mémoires inédits ne manquera pas de modifier quelques traits de ce caractère indéfinissable : dans son ensemble, il restera tel qu’on le connaît aujourd’hui. Depuis dix ans, c’en est fait du Louis XV de la tradition, des romans, des historiens qui n’ont point connu ou voulu connaître la correspondance secrète, la politique occulte des vingt dernières années du règne. Le peuple n’a guère le sentiment des nuances : il se figure à son image les quelques rois bons ou mauvais dont il a gardé la mémoire. Il ne conçoit que des caractères simples et tout d’une pièce. On est Marc-Aurèle ou Néron : point de milieu. Les Claudes ont le pire destin, ils passent pour les auteurs de tous les maux qu’ils n’ont pu conjurer, et on leur fait un crime de la bonté de leur cœur, de la clairvoyance de leur esprit désabusé, de l’impuissance finale où ils se laissent aller quand ils ont acquis l’expérience des hommes, reconnu l’inutilité de, la lutte.

Le fils du duc de Bourgogne fut une de ces natures très complexes dont on peut dire tout le bien et tout le mal possible, parce qu’elles réunissent en soi les extrémités du vice et de la, vertu. Elles manifestent d’une façon éminente les défauts de leurs qualités, les qualités de leurs défauts. On est d’abord plus frappé des uns que des autres ; un peu d’attention permet de démêler ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est point dans ces manières d’être d’un Louis XV. Quand on a suivi le développement de ses passions et de ses pensées, soumis à l’analyse psychologique son humeur et ses penchans, décomposé ce qui paraissait simple dans sa constitution intellectuelle, classé ses notions en groupes définis, subordonné les unes aux autres ses diverses familles d’idées, noté la puissance des forces vives ou latentes de son âme et surpris le jeu des plus secrets ressorts, on se trouve devant un organisme merveilleux, d’une délicatesse infinie, mais dont tous les actes sont solidaires, s’influencent réciproquement, et sont liés entre eux comme les anneaux d’une chaîne, si bien que, l’un des anneaux venant à se briser, il n’y aurait plus que des tronçons, en d’autres termes des pensées et des actions incohérentes, une rupture d’équilibre de toutes les forces de l’âme, une destruction complète de l’organisme. De là la vanité du blâme ou de l’éloge en histoire, du moins à l’ancienne manière. Le mérite et le démérite ne sont point supprimés dans les annales