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cherchaient sur l’une d’elles les stigmates de la sainte, les autres croyaient retrouver la trace d’incestes et d’immondes luxures sur les pauvres corps d’Henriette, d’Adélaïde et de Victoire.

Ce déchaînement de passions contraires suscita quelques livres d’allure peu élevée, mais judicieux et sincères, qui mirent au jour de nouveaux documens[1]. De bons esprits se rencontrèrent, esprits moyens, mais honnêtes, qui ne craignirent point de répondre aux pamphlets de M. Michelet contre ces princesses, comme aux naïves apologies de la dernière des six sœurs, de Madame Louise, par M. le comte de Chambord[2], par les religieuses carmélites, par les pères de la compagnie de Jésus. Ce n’est pas que la vérité même ait la vertu de persuader les croyans dans un sens ou dans l’autre. On n’osera plus renouveler les singulières fantaisies de M. Michelet : les lourdes affirmations des gens de foi, les anecdotes de sacristie, l’éloquence des panégyristes chrétiens, ont désormais le champ libre. Tout ce monde-là est bien décidé à ne jamais se soucier de la réalité des faits : il ne connaît pas l’histoire. Heureusement l’histoire le connaît et l’étudie avec curiosité.

Nul doute que la catholicité n’apprenne bientôt que le ciel chrétien compte une sainte de plus. Si Louise-Marie de Bourbon, en religion mère Thérèse de Saint-Augustin, n’est pas encore entrée dans les célestes milices, ce sont les événemens politiques qui en sont cause, la fameuse lettre d’octobre de M. le comte de Chambord et le septennat de M. le maréchal de Mac-Mahon. Peut-être est-il piquant de noter que l’ange de Madame Louise de France au monastère de Saint-Denis, c’est-à-dire la religieuse qui l’initia à la vie et aux mœurs des carmélites en 1770, fut la sœur Julie, dans le siècle Julienne de Mac-Mahon, une fille de cette noble famille d’Irlande dont l’un des descendans retarde aujourd’hui, sans le vouloir assurément, la béatification et la canonisation de la fille de Louis XV. Voilà en effet bien des mois que cette cause a été introduite à Rome par Pie IX. On conçoit que le chef de la maison à laquelle appartenait cette princesse ait pu voir dans Madame Louise « un gage certain du retour des divines miséricordes sur la France. » Nous n’avons point mission de dissiper ces touchantes illusions, mais à coup sûr il n’est plus permis à un historien de bonne foi de croire encore avec le dévot prince à la « profonde humilité » et à « l’esprit de mortification » de Madame Louise. C’est là une légende dorée qui a fait son temps. Le souvenir de la future bienheureuse n’est pas non plus précisément ce qu’on appelle « une douce mémoire ; »

  1. Edouard de Barthélémy, Mesdames de France, filles de Louis XV (1870) ; — Honoré Bonhomme, Louis XV et sa famille (1873).
  2. Lettre de Henri au saint-père, Frohsdorf, 17 mars 1870. — Cf. une lettre du même à M. l’évêque d’Autun, 5 janvier 1856.