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encouragées. L’esclavage détruit, il était permis de considérer d’un autre œil une question qui devenait plutôt nationale. L’Espagne, l’Angleterre, la France, le Danemark, avaient de vastes possessions ou du moins un pied dans les Antilles. Quelques-unes des îles étaient devenues pendant la guerre les arsenaux et les centres de ravitaillement des rebelles. On ne saurait être trop surpris si le président Grant prêta l’oreille à ceux des habitans de Saint-Domingue qui vinrent le solliciter et lui offrir un site pour un magnifique port militaire dans la baie de Samana. Sumner attaqua ce projet avec une grande violence. Il ne se contenta pas d’en indiquer les dangers lointains : il montra que, la république dominicaine une fois annexée, Haïti serait absorbé fatalement par les États-Unis, qu’il faudrait admettre ces territoires insulaires dans l’Union, qu’on entrait ainsi dans une voie où l’on ne pourrait plus s’arrêter, et qu’on soumettait à une épreuve trop dangereuse les principes traditionnels du gouvernement fédéral. C’était déjà une besogne assez difficile de ramener les anciens états du sud à la vie constitutionnelle ; l’Union devait se recueillir, se corriger, panser ses plaies plutôt que de songer à étendre indéfiniment ses limites, Sumner ne se contenta pas malheureusement de ces argumens généraux ; il dénonça la conduite, les motifs des négociateurs dominicains, il accusa le président de soutenir par l’appui de vaisseaux de guerre américains celui qu’il nommait l’usurpateur Baez, de se rendre ainsi le complice d’un homme qui voulait vendre son pays.

L’éloquence la plus chaleureuse doit savoir s’imposer des règles : le président avait fait auprès de M. Sumner, pour le ramener à son avis, des efforts personnels qui lui avaient peut-être coûté ; il ne pouvait lui en vouloir de le trouver ferme dans sa résistance, mais il fut justement offensé d’une attaque si directe et si personnelle. M. Sumner entraîna le sénat, mais il avait trop triomphé, il n’avait pas su mesurer ses coups. On ne doit pas corriger ses partisans comme ses ennemis, il faut savoir reconnaître ce qui est dû au chef de l’état, et ne point diminuer de ses propres mains l’autorité qu’on a contribué à élever ; Sumner s’était mépris d’ailleurs sur sa force, non qu’il eût médité la lutte de l’homme d’état contre le chef d’état, qui finit parfois par le triomphe de l’homme d’état, il n’avait point un tel dessein, mais il croyait que le sénat resterait toujours rangé derrière lui et qu’il pourrait guider le pouvoir exécutif. Il reconnut bientôt que ceux qui avaient voté avec lui ne voulaient point partager sa disgrâce. Comme tous les hommes qui ne sont point habitués aux débats parlementaires, le président avait cru voir dans le discours de Sumner plus que celui-ci ne voulait y mettre ; il avait accepté la bataille avec une décision militaire quand on faisait mine