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instructive de notre tâche. Il n’y a pas de spectacle plus douloureux que le déchirement d’une union que tout devrait resserrer, et que tout vient détruire, — la métamorphose et comme l’empoisonnement lent de l’amitié, de la confiance, de l’estime. En prenant possession de la présidence, le général Grant appela à la secrétairerie d’état M. Hamilton Fish. M. Sumner et M. Fish étaient alors en parfaite harmonie. En envoyant M. Motley comme ambassadeur à Londres, le général Grant honorait un ami personnel de Sumner, en même temps qu’un serviteur éminent de l’Union. Le président attachait beaucoup d’importance à ce choix à cause de la nature particulièrement délicate des questions pendantes entre les deux pays. M. Sumner eut aussi part au choix de M. Bancroft Davis, nommé assistant secrétaire d’état (c’est le titre donné au fonctionnaire qui assiste le secrétaire d’état, ministre des affaires étrangères). Il ne resta pas étranger à la rédaction des instructions données à M. Motley en ce qui concernait l’Alabama. Le secrétaire d’état et le président du comité des affaires étrangères échangèrent longtemps leurs vues sur tous les sujets. Les fonctions de M. Sumner et la nécessité de faire ratifier par le sénat tous les choix diplomatiques et tous les traités conféraient à M. Sumner une sorte de patronage ou tout au moins de contrôle sur l’administration. Abusa-t-il un peu de l’autorité qui lui était dévolue, autorité plutôt morale qu’officielle ? il n’y a rien de si difficile que de s’amoindrir, de s’effacer, de se contenter des réalités sans les apparences. Le général Grant pouvait se considérer moins comme l’élu du parti républicain que de la nation tout entière et de la fortune ; il apportait au pouvoir quelques idées simples et justes ; moins il était disposé à jeter le poids de sa prérogative entre les partis plus il était enclin et décidé à faire respecter son avis quand il jugeait à propos de l’émettre. Il n’avait pas l’humeur accessible, la patience infatigable, l’ouverture de M. Lincoln, et Sumner sentit bientôt comme une main invisible qui le séparait d’un président silencieux, d’humeur réservée, habitué à quelques figures familières, ennemi de toute discussion. Ce ne fut pas sans doute sans effort qu’il se laissa entraîner jusqu’à l’opposition déclarée.

Cette opposition éclata à propos d’un traité relatif à Saint-Domingue. Le président était très désireux d’annexer une des Antilles à la république ; il croyait avoir trouvé une occasion très favorable à Saint-Domingue. Toute sa vie, Sumner avait combattu la doctrine des annexions ; le sud voulait s’emparer des Antilles, comme il s’était emparé du Texas, pour étendre le domaine de l’esclavage. Les représentans du nord n’avaient pas cessé de dénoncer ces ambitions, aussi bien que les fourberies et les violences qu’elles avaient