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discutées et votées par les électeurs dans chaque état. Le sud, résigné à accorder aux noirs des droits civils, répugnait à leur donner le droit électoral. Sumner lutta contre cette tendance, et travailla de toutes ses forces à effacer dans toute la législation le privilège de la couleur. Ce n’était pas toutefois chose facile que de faire passer cette égalité dans les constitutions et dans les codes particuliers des états du sud ; ce travail s’est opéré lentement, difficilement ; le nord n’a pu rendre au sud ses libertés qu’au fur et à mesure, que le sud faisait lui-même l’abandon de ses anciens privilèges.

Le gouvernement avait une autre tâche qui put sembler un moment presque aussi ardue. Le commerce des États-Unis avait été ruiné pendant la guerre par les corsaires sortis des ports de l’Angleterre : les revendications du cabinet de Washington ne s’étaient pas fait attendre. Sumner prononça sur ce sujet un discours qui jeta le plus grand émoi en Angleterre. Suivant lui, l’Angleterre avait violé le droit des gens dès le début des hostilités ; elle était non pas seulement responsable des dommages directement infligés par les corsaires, mais des dommages indirects causés au commerce américain par la reconnaissance hâtive des états confédérés en qualité de belligérans, par les encouragemens donnés à la rébellion, et enfin par les déprédations des corsaires. L’évaluation de ces dommages indirects était, on le devine, des plus difficiles, et restait forcément trop arbitraire ; Sumner eut le tort de donner un chiffre pour les représenter, mais au fond nous lui avons entendu dire à lui-même que, si le chiffre était chose indifférente, le principe des dommages indirects ne l’était point. Il est certain que rembourser simplement les armateurs dont les navires ont été brûlés ou coulés en pleine mer, ce n’est point indemniser tous ceux que la crainte des corsaires a contraints à vendre leurs vaisseaux à vil prix et à interrompre toutes leurs opérations commerciales. Un premier traité avec l’Angleterre avait reçu la signature de lord Clarendon et du négociateur américain. M. Sumner n’eut pas de peine à déterminer le sénat à refuser sa ratification à un traité qui non-seulement consacrait l’abandon des dommages indirects, mais qui n’assurait pas sérieusement les revendications les plus légitimes, et qui ne renfermait pas la moindre trace d’un regret ou d’une réparation morale.


III

En 1869, le parti républicain porta le général Grant au pouvoir, et ici commence la partie la plus pénible, sinon la moins