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un vent froid, bien, des mensonges dont il avait trop goûté la douceur.

Nous ne pouvons suivre ici M. Sumner pendant toutes les péripéties qui remplirent ces années terribles de la présidence de Lincoln. Deux partis se disputaient l’influence ; le premier avait pour devise « l’Union, telle qu’elle était, la constitution telle qu’elle est. » M. Seward eut longtemps des complaisances pour les politiques qui voulaient, une victoire obtenue, recommencer le passé, comme si la guerre n’eût été qu’un mauvais rêve. Sumner au contraire, et les abolitionistes avec lui, poussaient le président à l’émancipation. Ils ne voulaient pas que tant de sang eût été versé en vain. Les ennemis des États-Unis en Europe répétaient à l’envi que le nord et le sud ne se disputaient que l’empire du continent. C’était le moment où M. Gladstone félicitait publiquement M. Jefferson Davis d’avoir fait une armée, une marine et une nation : le président Lincoln hésita longtemps, il se décida enfin le 22 septembre 1862 à lancer la proclamation où il donnait la liberté à tous les esclaves dans les états rebelles. Depuis le début de la guerre, après chaque défaite, chaque fois que M. Sumner trouvait Lincoln assombri, pliant sous le poids de sa redoutable responsabilité, il lui conseillait de prendre cette grande mesure. Il savait que cette parole libératrice vaudrait des armées à L’Union. Il lui répétait sans cesse que si, comme président, il ne se croyait pas, le droit d’abolir l’esclavage, comme commandant en chef des armées il pouvait, il devait porter à la rébellion les coups les plus propres à l’abattre. On donnait des armes à tous les nègres fugitifs : ceux qui avaient porté l’uniforme du soldait pouvaient-ils reprendre la livrée de la servitude ?

Lincoln se laissa enfin convaincre, il frappa le grand coup qui devait ébranler jusque dans ses fondemens l’édifice de la nouvelle confédération. Sumner commenta la proclamation d’émancipation dans un discours fait à Boston. « On a prétendu quelquefois, dit-il, que l’objet de cette guerre est de rétablir la constitution telle qu’elle existe et l’Union telle qu’elle existait. C’est là une erreur, si, par la première de ces expressions, on entend le droit de garder et de poursuivie des esclaves, si par la seconde on veut revenir aux jours où le scrutin était violé dans le Kansas, où la liberté de discussion était violée dans le sénat, où l’on tendait des chaînes autour du tribunal de Boston, pour garder un esclave fugitif. Cette guerre n’a pas été entreprise pour détruire l’esclavage, elle a été entreprise pour vaincre une rébellion ; mais il se trouve que cette rébellion ne peut être vaincue, si l’esclavage ne l’est pas. » Puis, s’adressant à l’Europe, il s’écriait : « Dira-t-on encore de l’autre côté de L’Atlantique que l’esclavage n’a rien à faire dans cette guerre, que toutes