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vase prononcé et une odeur repoussante, La vase était noire, très légère, avait 1 mètre d’épaisseur, et se couvrait d’une pellicule blanche, muqueuse, qui se déposait aussi sur les vannes, les barrages, les pierres de niveau. En les examinant au microscope, on trouva que ces crasses blanches n’étaient autre chose que des beggiatoa alba, algues de la famille des oscillariées. Ces cryptogames foisonnaient dans la rivière jusqu’au mois de mars, où se termine la saison du travail des usines. A partir de ce mois, on voyait l’eau se charger de crasses noires qui montaient à la surface : c’étaient des beggiatoa en décomposition, au milieu desquelles apparaissait une autre algue, l’oscillaria natans. Cela durait jusqu’au curage, qui a lieu pour le Croult et le Rouillon dans la deuxième semaine de juin. Après le curage, l’eau coule noire pendant plusieurs jours, puis elle se clarifie, la rivière s’assainit. Vers le milieu d’août, les travaux reprennent, et avec eux les plaintes des riverains.

L’infection de la Molette ressemble à celle du Croult, seulement elle reçoit souvent les eaux de la voirie de Bondy, et la vase noire y est peuplée des larves blanches de l’éristale gluant, appelées communément vers à queue de rat, qui affectionnent les mares putrides. Le ru de Montfort, dans la plaine de Saint-Denis, reçoit les eaux d’une cartonnerie et celles d’une boyauderie. Ces eaux, claires et limpides en sortant des usines, sont chargées de matières putrescibles ; celles de la fabrique de carton d’Aubervilliers forment des dépôts blancs composés de bactéries, celles de la boyauderie donnent naissance à des euglènes rouges et verts qui tapissent le lit de la rivière en aval de l’usine. Ces infusoires caractérisent donc l’eau infectée par des matières animales, tandis que les algues blanches trahissent les eaux de féculerie. Dans les eaux moins profondément altérées, on voit apparaître des algues vertes. — Pendant la guerre de 1870, les berges du canal de l’Ourcq ayant été rompues par l’ennemi, les eaux du canal s’écoulèrent dans le Croult. Plus tard, les rivières furent ramenées dans leur cours normal, mais les beggiatoa et les oscillaria natans ont cédé la place à des zygnema et des spirogyra.

Au cours de ces études, M. Gérardin a fait une autre remarque importante. Lorsqu’une eau renferme la proportion normale d’oxygène dissous, elle peut entretenir la vie des poissons et celle des herbes ; dès lors elle est saine et probablement bonne. Quand l’oxygène diminue, les animaux à respiration active disparaissent les premiers, puis ceux dont la respiration est lente ; c’est ainsi que la sangsue noire peut vivre dans des eaux où la crevette meurt instantanément. Cette diminution de l’oxygène dissous influe aussi sur les plantes, et elle a pour cause l’oxydation des matières organiques qui salissent l’eau. Une eau corrompue est dès lors celle qui est dépourvue d’oxygène dissous, une eau simplement altérée en renferme encore, mais moins qu’une eau normale. Cette remarque se vérifie par l’expérience ; on ne trouve aucune trace d’oxygène dissous dans les eaux notoirement infectes. La salubrité,