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Les vocations deviennent de plus en plus rares ; ce n’est pas la nature qui les produit, c’est la fantaisie qui les décide. On s’essaie dans tous les genres, sans être porté vers aucun par une préférence naturelle, ni par un attrait passionné. C’est une aventure que l’on tente, une entreprise que l’on fait, parfois un rôle que l’on soutient ; ce n’est pas une conviction à laquelle on cède. Tableaux religieux, tableaux d’histoire, tableaux exotiques, tableaux archaïques, tableaux familiers, s’improvisent à la hâte et se fabriquent indifféremment par les mêmes procédés. On passe d’un genre à l’autre. suivant la mode, jusqu’à ce que l’on ait fait un ouvrage qui réussisse et qu’alors on répète à profusion. Les préoccupations industrielles priment les goûts naturels de l’artiste, — l’art est mis au service de la personne, quand c’est la personne elle-même qui devrait se dévouer au service de l’art. L’artiste moderne, comme l’écrivain moderne, lorsqu’il n’est pas un pur ouvrier ou un charlatan grossier qui spécule sur le mauvais goût public, n’est la plupart du temps qu’un demi-amateur, tant soit peu sceptique et blasé, qui se sent lui-même supérieur à son œuvre et pour qui l’art n’est qu’une carrière ou un moyen de parvenir.

A cela, quel remède pratique ? Faut-il le chercher, comme le proposait il y a quelque temps un de nos législateurs, dans l’institution d’une commission de magistrats et d’évêques, spécialement chargés de discipliner et de moraliser l’école française ? Sans aller tout à-fait aussi loin, faut-il le chercher dans une meilleure distribution des encouragemens officiels ? Assurément il y a quelque chose à tenter. Au lieu de faire fabriquer sur commande de mauvais tableaux et de mauvaises statues, dont il impose les sujets sans égard aux aptitudes des artistes, l’état ferait mieux d’acheter les belles œuvres originales partout où elles se présentent ; au lieu de les disperser dans des galeries de province, où personne ne va les voir, il devrait en faire un musée spécial, où les artistes pourraient venir souvent s’échauffer d’une émulation salutaire que les modèles des maîtres anciens ne sauraient leur inspirer au même degré. Ce sont là cependant de petits moyens qui ne peuvent avoir que de petits résultats. Pour régénérer l’école moderne, il faudrait pouvoir changer le cours des idées de notre temps. L’art français est ce qu’il doit être dans la société où il se développe. Quand cette société sera moins frivole, moins sceptique, moins ignorante, l’art français pourra retrouver quelque chose de son ancienne grandeur ;


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.