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à son histoire l’accent de la passion, ce n’est pas là ce qui nous étonne. Ce qu’il faut regretter, c’est le ton constamment enflé, c’est la lourdeur et la prolixité de sa narration. Ce n’est pas ainsi qu’on écrit l’histoire. Nous exigeons aujourd’hui des historiens plus de sobriété dans la forme, des faits, des citations nombreuses, des comparaisons de textes et des preuves. On doit se garder de se donner l’apparence de l’érudition quand on manque du matériel nécessaire pour la soutenir, et ne pas se laisser aller à la manie de l’étymologie, quand on néglige les règles au moyen desquelles la science moderne est parvenue à consulter sans danger « la perfide sirène, » comme l’appelle quelque part M. Max Müller[1]. Il est permis d’aimer beaucoup son pays, seulement il ne faut pas que cet amour dégénère en une vanterie perpétuelle de tout ce qui en provient ; on pense alors malgré soi à la renommée très spéciale qu’on a faite aux habitans du bassin de la Garonne. L’historien, là où les documens circonstanciés lui manquent, a le droit de conjecturer, mais non pas celui de décrire à satiété des scènes qui n’ont pour garantie que son imagination, sauf à les coudre moyennant des « sans doute » ou des « certainement. » En un mot, la forme du récit est défectueuse, et le fond prête trop souvent à l’objection.

Quelque laborieuse pourtant que soit la lecture de ces trois volumes, on y glane plus d’une donnée nouvelle et intéressante sur la seconde période de l’histoire albigeoise, bien moins connue que la première. La connaissance exacte des lieux et des traditions locales a mainte fois servi très heureusement l’auteur. Son appréciation du catharisme est trop élogieuse, surtout trop ambitieuse. S’il fallait l’en croire, c’est au catharisme que se rattacheraient presque toutes les grandeurs qui l’ont suivi, depuis Dante jusqu’à Lamartine, depuis l’auteur de l’Imitation jusqu’à Jean-Jacques Rousseau et Mirabeau. On doit toutefois reconnaître qu’il a relevé avec une grande justesse l’élément véritablement fort et vivace de la doctrine albigeoise, celui qui, dégagé d’un alliage compromettant, devait, sous d’autres formes, se perpétuer jusqu’à nos jours et même se retrouver dans les plus récentes transformations du christianisme. Achevons notre étude en signalant les points saillans de l’agonie prolongée qui suivit si promptement la renaissance momentanée de 1217-1225 ; mais auparavant résumons rapidement les principaux faits qui les expliquent.

Louis VIII, on le sait, ne partageait pas les scrupules de son père

  1. Pour donner un échantillon des illusions étymologiques auxquelles s’abandonne trop aisément M. Peyrat, nous dirons que, d’après lui, le mot romanesque signifie latin-ibère, c’est-à-dire roman, latin, esque, basque, aquitain ou ibère. À ce compte pittoresque signifierait picte-ibère, et tous les adjectifs en esque auraient de l’ibère dans leur composition.