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noir sur un fond vert de cobalt. Malheureusement cette figure si solidement peinte a le défaut commun des portraits de M. Henner, elle ne parle guère à l’esprit.

Les portraits d’hommes sont généralement meilleurs ; on y retrouve pourtant la même tendance à négliger le type individuel pour courir après l’effet pittoresque ou après cette espèce d’idéal bourgeois qu’on appelle l’air distingué. C’est tour à tour le défaut de Mme Henriette Browne, aussi banale que jamais, — de Mlle Jacquemart, une artiste qui était presque virile en peignant des portraits de femmes et de vieillards, et qui devient plus que féminine en faisant des portraits de jolis garçons bien habillés, — de M. Cot, un homme de talent, mais qui a le talent d’une femme, et qui nous présente, avec une jolie blonde en robe noire, un beau militaire bien propre et bien ciré, — de M. Sellier, qui racle sa toile, coupe et repeint ses empâtemens comme un paysagiste, et se complaît dans un clair-obscur tantôt verdâtre, tantôt jaunâtre, d’un aspect fantastique et douteux, admissible peut-être au second plan sur une figure accessoire, dans un tableau d’ensemble, mais tout à fait hors de propos dans un portrait où tout doit concourir à jeter de la précision et de la clarté, — de M. Bonnegrâce, dont le pinceau un peu lourd, mais juste et sincère, s’embarrasse parfois à la recherche de l’effet, — enfin de M. Delaunay lui-même, qui s’amuse souvent, comme cette année, à déployer sa grande habileté pittoresque et son admirable puissance de modelé dans des toiles monochromes qui sont plutôt des pochades que des portraits.

M. Lefebvre, quant à lui, est un portraitiste sérieux, qui ne s’arrête pas aux apparences et qui creuse son sujet jusqu’au fond ; Presque tous ses portraits ont un type saisissant ; seulement on ne saurait lui demander l’impossible, à savoir de tirer de rien quelque chose. On ne crée pas un portrait de toutes pièces ; quelquefois le modèle est tellement incolore qu’il se refuse à toute interprétation morale, à toute idéalisation intelligente. Il y a surtout pour les jeunes hommes un certain âge ingrat où rien n’est formé dans leur physionomie, et où leur insignifiance naturelle en devient le principal caractère. Plaignons les peintres obligés de travailler sur de tels modèles ! Ils en sont réduits alors, comme M. Lefebvre dans son portrait du prince impérial, à chercher l’idéal de la nullité adolescente en la couvrant du vernis d’une distinction banale. Cet enfant pâle et presque inanimé, qui se tient debout, en costume de parade, dans une posture raide et gênée, fait peine avoir quand on songea toutes les qualités de sincérité élégante, de dessin exact, fin et serré, que M. Lefebvre a dépensées dans cette toile pour produire un si pauvre effet.

Quelle différence entre cette jeunesse étiolée et le superbe