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considérer, on y trouve je ne sais quoi de forcé qui frise la caricature. Il vous vient involontairement à l’esprit je ne sais quelles réminiscences des figures grimaçantes du Christ au milieu des docteurs, de M. Ribot, ce même M. Ribot qui jadis a donné de si grandes espérances, et qui, après avoir fait pendant quelques années de médiocres pastiches des maîtres espagnols, mérite aujourd’hui qu’on le renvoie à ses natures mortes, à ses cheminées noires de suie et à ses marmitons barbouillés de fumée.

M. Matejko, qui s’est spécialement consacré à retracer les grands épisodes de l’histoire de Pologne, est un talent d’une espèce singulière, qui ne rentre dans aucune des catégories de l’école française. Par certaines hardiesses romantiques, il fait songer vaguement à Delacroix ; par une certaine sincérité mâle, il se rapproche de Robert-Fleury ; par un certain réalisme brutal, il rappelle quelquefois Hogarth ; par une certaine barbarie systématique, il confine à M. Gustave Doré et aux tableaux humoristiques de M. Vibert, le tout rassemblé dans d’énormes toiles de 15 ou 20 pieds de long, encombrées de personnages diversement costumés, pleines de détails bizarres, bariolées de couleurs éclatantes qui s’entassent les unes sur les autres, sans que l’air et la lumière puissent jouer dans les intervalles. L’œil est d’abord blessé de ce tumulte, puis on y découvre une composition originale, une grande fermeté de dessin, des attitudes énergiques et franches, des types d’une brutalité saisissante. Dans le tableau d’Etienne Bathori recevant les envoyés d’Ivan le Terrible, la figure du roi assis sous sa tente, les deux mains plantées sur ses cuisses, est d’une rudesse un peu vulgaire, mais pleine de fierté. Les types des hommes d’église et des ambassadeurs agenouillés ou prosternés devant lui dans la neige sont tous empreints de cette même trivialité puissante qui se marie, chez M. Matejko, à de véritables débauches pittoresques. Même à ne le considérer que comme une curiosité archéologique et ethnologique, ce tableau serait encore d’un vif intérêt et d’une sérieuse valeur.


III

Cette fois nous en avons fini avec la grande peinture, et, sauf quelques exceptions que nous saluerons au passage, nous n’aurons plus affaire qu’à des œuvres d’un caractère plus modeste. Jusqu’ici nous n’avons vu que l’aristocratie de l’art, aristocratie parfois encroûtée, souvent corrompue, toujours un peu déchue, qui tantôt s’engourdit dans des traditions surannées, tantôt secoue ses préjugés et s’encanaille avec le siècle. Nous allons maintenant faire connaissance avec ce qu’on pourrait appeler la bourgeoisie de l’art, car il y a aussi, n’en déplaise aux artistes pour qui ce mot de