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Le tableau de M. Blanchard, Hylas entraîné par les nymphes, contraste heureusement avec les marionnettes de M. Picou. Là du moins, faute d’un sentiment très pur et d’une exécution très ferme, le classique est vivifié par un naturalisme sincère et par une intelligence délicate des symboles de la mythologie païenne. Au bord d’une rivière tranquille et profonde, sous de frais et ténébreux ombrages, le jeune homme se couche sur la berge et se penche au milieu des grandes herbes, en s’accrochant à un vieux tronc d’arbre qui surplombe au-dessus des eaux. Tandis qu’il remplit sa cruche ou plutôt son urne, les nymphes aux formes ondoyantes, aux yeux noirs, profonds et perfides, sortent de leurs retraites obscures et cherchent à l’attirer doucement en lui soufflant au visage la délicieuse fraîcheur de leurs ondes. Elles le séduisent par leurs caresses plutôt qu’elles ne l’enlacent de leurs embrassemens. L’une se soulève au-dessus de l’eau, légèrement suspendue à une guirlande de lierre, et elle passe doucement sa froide main sous le menton de l’adolescent fasciné ; l’autre, nonchalamment renversée en arrière, se laisse flotter à la surface de l’eau comme une fleur de nénufar blanc ; du bout de sa main négligemment étendue, elle effleure à peine le bras de sa victime, qui frémit de ce contact voluptueux et léger. La mythologie ainsi comprise est encore de notre temps, car elle n’est que l’interprétation animée du langage de la nature, et elle prête pour ainsi dire un corps au paysage, dont nous n’avons pas encore cessé de comprendre et d’admirer les beautés.

La religion va-t-elle au moins nous offrir une source d’inspirations plus sincères ? Comme on devait s’y attendre, en ce temps de réveil religieux et de réaction cléricale, les tableaux de dévotion sont assez nombreux ; mais il y a peu de religion dans ces tableaux, et le peu qu’ils en contiennent est tout à fait à la mode du jour. Ils ne respirent, pour la plupart, qu’une piété bourgeoise et affadie ou une dévotion de commande, qui dégoûte plus qu’elle n’émeut. Malgré les miracles et les pèlerinages en vogue, il est visible que le sentiment religieux manque aujourd’hui de profondeur ; il n’a plus ni cette énergie austère qui engendre les grands dévoûmens, ni cette grandeur poétique et naïve qui produit les chefs-d’œuvre. La religion, soit dit à notre honte, est pour la plupart de nos contemporains une convenance officielle et un moyen de parvenir. Plus elle se répand en pratiques insignifiantes et en manifestations théâtrales} plus elle tourne au pharisaïsme prosaïque et utilitaire. La plupart des hommes qui étalent aujourd’hui leurs croyances le font surtout par intérêt ou par système ; les plus convaincus le font pour l’exemple et pour l’effet qu’ils espèrent produire. Il en est à peu près de même de ceux de nos artistes contemporains qui se sont adonnés particulièrement au genre religieux. Nous ne les accusons