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M. de Vignon, qui fit jadis ses premières armes dans l’atelier de Léon Cogniet. Léon Cogniet fut le dernier rejeton de cette école académique du premier empire, qui avait de si nobles qualités au milieu de quelques ridicules. Il en avait l’emphase dramatique, la solennité un peu tendue, la grandeur voulue, mais réelle ; on pourrait dire de lui que c’était un David ou un Girodet romantisé. On sent l’imitation du maître dans l’immense toile que M. de Vignon expose sous le titre de Funérailles de Pompée ; on ne la sent même que trop. L’auteur est trop préoccupé de s’approprier cette sobriété sévère qui donne un tel aspect de grandeur à la solitude du Marins assis sur les ruines de Carthage. Chose triste à dire, quand même M. de Vignon ferait revivre sous son pinceau, quelque chose du génie de ses devanciers, il trouverait aujourd’hui peu d’admirateurs. Les contemporains de Talma sont démodés et dépaysés parmi les auditeurs de Barbe-Bleue et de la Belle Hélène.

On s’en aperçoit à chaque pas. Tantôt c’est la Gloire posthume de M. Baader, œuvre abstraite et glacée d’un artiste dont le talent s’épuise à lutter contre l’indifférence du public. Tantôt c’est le Mariage de la Vierge de M. Leloir, tableau harmonieux, élégant et symétrique, qu’entoure une épaisse atmosphère de convention et de froideur. Tantôt c’est la frise où M. Ehrmann nous déroule l’histoire de l’art dans un style de bas-relief qui rappelle celui de M. Gleyre, son maître. Tantôt c’est M. Hennebicq, un homme de talent, qui taille bravement sa toile en pleine histoire romaine, et qui nous représente, d’après Tacite, une Messaline sortant de Rome sur la charrette aux ordures, au milieu des huées de la populace ; cette toile a de la vigueur et une certaine gravité imposante qui rappelle de loin les grandes scènes romaines de Court et de Lethière ; mais l’action en est languissante et d’un sentiment presque découragé. Tantôt c’est M. Picou, qui lui du moins n’est pas accessible au découragement, et qui s’obstine à nous étaler, dans un paysage de plâtre et de carton peint, une troupe de nymphes en papier mâché, coloriées avec de la brique pilée et peinturlurées de draperies criardes ; elles s’enfuient en gambadant lourdement devant un petit Cupidon qui leur décoche des flèches du sein d’une auréole jaune ; ces malheureuses filles ressemblent à ces poupées de carton sur lesquelles les marchandes de modes essaient les chapeaux de femmes ; on ne s’explique pas, à voir la mollesse de leurs membres ronds et engorgés, comment elles peuvent bondir à une aussi grande hauteur ; leurs mouvemens sont figés comme ceux des figurantes que l’on suspend au-dessus du théâtre, attachées à des fils de fer invisibles. Décidément la rentrée en scène de M. Picou ne sert qu’à nous présenter en sa personne la triste image de la décadence de l’école dont il a été lui-même une des plus brillantes espérances.