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LE
SALON DE 1874

Si par hasard notre civilisation venait à disparaître dans quelque grand cataclysme, sans laisser derrière elle ni documens écrits, ni traditions verbales, et si la destruction s’arrêtait par miracle à la porte de l’exposition des beaux-arts, les historiens et les archéologues qui viendraient en explorer les ruines n’auraient pas besoin d’autres témoignages pour ressusciter la société contemporaine, et pour en tracer un portrait fidèle aux générations suivantes. La critique moderne, si ingénieuse à reconstruire les civilisations mortes, trouverait cette tâche comparativement bien facile, et dédaignerait peut-être de s’en occuper. Ce ne serait point en effet sur de simples indices, sur des renseignemens obscurs, qu’elle aurait à former des hypothèses plus ou moins aventureuses ; elle aurait sous les yeux la réalité même et, pour ainsi dire, la représentation vivante des idées de notre temps. Or il est souvent plus commode d’avoir à deviner qu’à comprendre, et il pourrait fort bien arriver qu’en présence de tant de témoignages minutieux et irrécusables de nos sentimens et de nos idées, de nos goûts et de nos mœurs, de nos vices et de nos vertus, de nos modes et de nos ridicules, à la vue de cet art éclectique, exotique et cosmopolite, que le besoin de la nouveauté ou le plaisir du scandale entraîne si souvent en dehors des voies naturelles, les critiques de l’avenir éprouvassent quelque embarras à en déterminer les véritables tendances et à distinguer ce qu’il y a d’artificiel ou de sincère dans les idées dont il est l’expression.

Tel est l’embarras que nous éprouvons pour notre part en parcourant le Salon. Nous y reconnaissons l’image de la société contemporaine ; il nous semble que nous passons en revue toutes les idées de notre temps. Seulement, lorsque nous cherchons ensuite à