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enfin la noblesse, nous avons remarqué comment ce mode identique de délégation avait amené les trois ordres à procéder simultanément au choix de leurs députés. De là à l’élection en commun il n’y avait qu’un pas. La fin du xve siècle nous le montre franchi et nous atteste que la royauté accepta sans réserve ce progrès ; puis l’accord si heureusement formé entre les ordres vint à se rompre pour le malheur de notre histoire ; l’unité de l’assemblée de bailliage ne demeura qu’une apparence : en réalité, elle se brisa, comme les états-généraux, en trois parties, presque toujours séparées et trop souvent ennemies. En certaines provinces, l’ancienne harmonie prévalut et parvint à se maintenir, mais ces exceptions fort rares ne servaient qu’à faire ressortir la division des ordres, qui était entrée comme une règle dans les mœurs publiques, et qui ne devait périr qu’au moment où tous les principes du gouvernement seraient ébranlés.

Quel que soit l’intérêt qui s’attache à la forme du vote, ce n’est point là qu’est l’originalité réelle des élections aux états-généraux. L’électeur, en se rendant aux assemblées préparatoires, songeait bien moins à la feuille sur laquelle il allait inscrire le nom du député qu’aux remontrances à faire voter par l’assemblée. Oublions donc un instant l’isolement si funeste des classes, et ne nous lassons pas de rappeler au terme de cette étude quelles étaient les sources de ces grandes doléances dont la rédaction collective mettait en jeu tous les élémens qui composaient l’ancienne France. Il n’y avait pas un gentilhomme qui n’eût été convoqué au chef-lieu du bailliage, pas un curé qui n’y eût été appelé, pas une abbaye, pas un chapitre sans représentant attitré. Le troisième ordre y paraissait par une série de délégués qui tiraient leur pouvoir des assemblées de village, où tout habitant avait eu le droit d’apporter ses vœux et de produire ses plaintes. Dans les villes, les paroisses, les communautés de métiers, les simples particuliers même adressaient ides mémoires et des remontrances. Ainsi de toutes parts les habitans, quelles que fussent leur qualité et leur origine, étaient admis à faire parvenir au roi l’expression de leurs sentimens.

En résumé, point de théorie sur le vote illimité, le scrutin réservé à une élite et le droit de vœu universel, voilà les principes que nous pouvons dégager de cette multitude de faits. En présence d’une pareille franchise, qui ouvrait une si libre carrière aux prières et aux plaintes de la nation, comment s’étonner quand on entend murmurer au milieu des déceptions et des maux de toute nature cet appel incessant à une tenue d’états-généraux qui demeura pendant quatre siècles l’espérance de ceux qui souffraient et le cri de tous les opprimés ?

George Picot.