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des ambassadeurs chargés de garder une attitude discrète, d’observer avec soin, et de ne sortir de leur réserve que si des prétentions imprévues venaient à menacer la province. Pour remplir une telle mission, il fallait des députés qui fissent plier les intérêts de leur ordre devant les intérêts généraux de la Bretagne. N’est-ce pas ainsi que, par une étrange interversion des rôles, chaque ordre était exclu du droit d’élire ses propres mandataires ? Les procès-verbaux des états de Bretagne nous montrent qu’en 1614 aussi bien qu’en 1576 les députés du clergé furent choisis par le tiers et la noblesse, pendant que les députés de la noblesse étaient élus par l’église et le tiers, et que ceux du troisième ordre se trouvaient désignés par les suffrages des nobles joints au clergé. C’est ainsi qu’en face du reste de la France les Bretons entendaient choisir des députés formant un corps unanimement dévoué aux intérêts généraux de la province.

Il y avait des pays d’états où l’élection prenait des formes plus solennelles. Il semble que certaines assemblées n’aient pas cru posséder une suffisante autorité, et qu’elles aient jugé nécessaire d’appeler en réalité la province entière autour d’elles. En Provence, il se tenait des états pléniers. Aux états se joignaient les plus notables personnages de chaque ordre, qui constituaient de la sorte une assemblée considérable des principaux habitans de la province. C’est dans le sein de cette nombreuse réunion qu’étaient choisis les députés et que les doléances se trouvaient débattues et arrêtées.

La forme de l’élection influa puissamment sur les choix. Tandis que le tiers-état réuni dans les assemblées de bailliage envoyait le plus souvent des députés pourvus d’un office de judicature ou de finance, dans les pays d’états le troisième ordre se faisait représenter par des consuls, des échevins, des bourgeois. En 1614, les états de Dauphiné et de Provence n’élurent pas un seul officier du roi.

Avec la décadence des états provinciaux, l’élection des députés tendit à passer de plus en plus dans les assemblées de bailliage. Ce mouvement fut si marqué qu’avant les états-généraux de 1789, dont nous ne cherchons point à décrire ici les élections, le roi put donner ce mode uniforme à toute la France pour le choix des députés. La résistance de la noblesse de Bretagne et des corps privilégiés sur quelques autres points du royaume n’entrava pas un instant les élections générales, tant l’assemblée des trois états du bailliage, dont nous avons observé les premiers exemples en 1483, représentait exactement les vieilles et populaires traditions du royaume.

Ainsi, de 1302 jusqu’aux derniers états-généraux de la monarchie, nous avons suivi les faits, puis les principes qui dominèrent le système de la représentation politique. Après avoir vu sortir l’élection des monastères, l’avoir vue s’étendre aux villes, puis gagner