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tout à l’heure l’a dit récemment encore dans cet éloquent récit de nos annales où il donne aux jeunes générations de si précieux enseignemens : analysant « avec une fierté patriotique mêlée de tristesse » les causes de nos revers et de nos déceptions, M. Guizot se demande « pourquoi la France n’a pas encore atteint le but auquel elle a toujours aspiré, auquel aspirent naturellement toutes les sociétés civilisées : l’ordre dans le mouvement, la sécurité et la liberté unies et durables… Deux choses, dit-il, essentielles à la prospérité politique des sociétés humaines lui ont manqué jusqu’ici : la prédominance de l’esprit public sur l’esprit de caste ou de profession, la mesure et la fixité dans les ambitions nationales au dedans et au dehors. » C’est bien là l’éternel secret de notre faiblesse : la division entre les classes, les jalousies collectives, et ce jugement étroit des intérêts généraux, qui substitue aux grandes questions de misérables querelles, qui diminue et fractionne indéfiniment les partis, et qui fait préférer à un but clairement désigné et poursuivi en commun les intrigues secrètes inspirées par l’esprit de coterie. Le récit de nos impuissances causées par les haines mutuelles serait une trop lamentable histoire pour être jamais tentée, mais la peinture de la division des trois ordres, les incidens intimes et si variés de leur lutte, sont les élémens d’une étude indispensable de leurs caractères. Les élections ne nous font voir qu’un point de vue spécial, mais elles offrent un trait singulier des mœurs de l’ancien régime que nous ne devons point négliger. Accomplies une fois en commun, elles produisirent une assemblée admirablement unie pour le bien du royaume ; faites séparément pendant un demi-siècle, elles aboutirent à la rivalité de plus en plus ardente des classes.

La diversité des modes de nomination rend cette tâche ingrate et compliquée : suivant les lieux, soit qu’on étudie les bailliages, les pays d’états ou les grandes villes, la forme de la délégation varie ; la nature des mandats n’est pas un moindre problème ; enfin les élections municipales tiennent si intimement aux élections politiques qu’il est presque impossible de diviser un tel sujet. Contentons-nous aujourd’hui de suivre les élections dans les provinces de 1302 à 1614. Les documens sur ce sujet ne sont pas si abondans qu’on le penserait au premier abord. Dans l’année qui précéda la réunion des états-généraux de 1789, les formes des anciennes élections ont été l’objet des plus vives controverses ; mais l’attention publique se concentrait sur quelques réformes ardemment réclamées : les élections dans les assemblées de bailliage, le vote commun des ordres et, par-dessus tout, le doublement du tiers, tels étaient les problèmes autour desquels se groupaient les argumens et s’entassaient tour à tour brochures, mémoires et pamphlets. C’était une sorte d’effervescence de souvenirs qui se produisait à la veille de toutes