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de taille et souriante, lançant un éclair de feu à travers ses longs cils !


« Oh ! comme ma vie depuis a été froide, comme elle a été dénuée de rayons et de joie ! Mieux valait t’épouser, blonde Marie !

« Mieux valait courir cherchant à travers le bois désolé le buffle égaré, qui saute dans le maquis, qui s’arrête et regarde,

« Que de suer après un misérable vers ! Mieux valait dans le travail oublier sans le pénétrer cet énorme mystère de l’univers !

« Aujourd’hui, glacé, assidu à l’étude, le ver rongeur de la pensée me perce le cerveau, d’où vient que j’écris et que je parle en gémissant de choses misérables et tristes.

« Malade de corps et d’âme, les moelles rongées du fléau moral qui nous consume, je me tords de rage en pure perte.

« Oh ! les longues files des peupliers chuchotant au vent ! oh ! les beaux ombrages, lieu d’asile dans les beaux jours, banc rustique,

« D’où l’on voit la plaine brune labourée, les vertes collines d’une part, de l’autre la mer semée de voiles, et tout à côté le Campo-Santo !

« Oh ! la douce conversation entre égaux sur le midi quand on se repose, et le cercle resserré autour du feu dans les soirées d’hiver !

« Oh ! que c’est une meilleure gloire de raconter à ses enfans attentifs les fortes tentatives, les chasses, les périls courus,

« Et de marquer du doigt les profondes blessures dans le sanglier couché à terre… »


L’Idylle de la maremme est le morceau le plus caractéristique de l’œuvre de l’écrivain. Le talent de M. Carducci, quand il ne le force pas, se complaît dans une certaine mélancolie, entrecoupée par momens de vives saillies et de traits de couleur. Le paysage de la maremme, où il est né, s’y reflète avec sa fertilité, avec sa chaude lumière et quelque chose aussi de son air sauvage ; il n’est pas jusqu’à ses fièvres qui ne semblent avoir passé dans le tempérament du poète.

Nous avons dit que M. Carducci était professeur. Si l’on avait la curiosité de chercher ce que peut être dans une chaire un esprit qui se montre en poésie si aventureux, on risquerait fort de se tromper en concluant de ses vers à ses leçons. Il a donné des Studi letterari, Études littéraires, et d’autres opuscules d’histoire de la littérature, avec lesquels il serait aisé de prouver que dans ce pays la prose est plus sage que les vers. Point de système politique, point d’esprit de parti dans ses travaux de critique, pas même de passion antireligieuse. On dirait qu’il réserve pour la poésie précisément ce qui paraît le moins fait pour elle. On pourrait chercher dans ses écrits