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nom de bogomiles, il se forma une société cathare dont les doctrines présentent une étroite analogie avec celles du catharisme mitigé d’Occident. La Dalmatie, l’Albanie, la Bosnie, comptèrent de nombreux adhérens de cette secte. Toutes ces coïncidences, auxquelles se joignent plusieurs traces d’influence et de tradition orientales dans les coutumes et les idées du catharisme d’Occident, ne permettent pas de contester un certain rapport de filiation entre celui-ci et les sectes analogues, originaires de l’Orient, On peut admettre qu’à partir du XIe siècle les croyances pauliciennes et bogomiles débarquèrent plus d’une fois en Italie par suite des relations commerciales établies entre les deux côtés de l’Adriatique.

Cependant : il ne faudrait pas concevoir cette filiation d’une manière trop absolue. On sait combien depuis Charlemagne jusqu’aux croisades l’Orient et l’Occident demeurèrent étrangers l’un à l’autre. On ne comprend pas du tout comment des missionnaires bulgares ou dalmates, dont au surplus il n’existe aucune trace historique, auraient pu déterminer un grand mouvement religieux au sein de populations comme celles de la Gascogne et de la Provence. Enfin la transplantation des pauliciens d’Asie-Mineure en Thrace est de la fin du Xe siècle, et dès le commencement |du XIe on surprend jusque dans le nord de la France des remous d’hérésie qui présentent au moins de l’analogie avec le catharisme.

Voici l’explication qui nous paraît plausible. Ce qui détermine les révoltes religieuses des XIe et XIIe siècles contre l’église catholique, c’est, nous l’avons dit, l’indignation des consciences laïques soulevées par la corruption du clergé ; par conséquent on peut prévoir que les seules hérésies populaires seront celles qui donneront une expression vigoureuse à l’insurrection des consciences. Naturellement elles trouveront leur terrain le mieux préparé là où il existe une déférence moins enracinée qu’ailleurs aux prétentions romaines. Sans doute l’arianisme était profondément oublié ; il n’en est pas moins remarquable qu’en fait le catharisme n’a jeté en Occident de profondes racines que dans des contrées jadis arienne, que la conquête franque avait ramenées de force dans l’unité catholique, savoir l’Espagne du nord, la France du midi et l’Italie septentrionale. Il est donc hautement probable que, tout en disparaissant comme doctrine professée, l’arianisme dans ces régions avait laissé certaines traditions de défiance, de scepticisme, vis-à-vis du clergé orthodoxe. De même le manichéisme avait dû déposer çà et là quelques sédimens dualistes alimentés par l’importance croissante que la foi du moyen âge attribuait à Satan. Il y a de ces germes longtemps enfouis dans le sol et qui n’attendent qu’un jour propice pour éclore à sa surface. L’antipathie provoquée par les scandales ecclésiastiques une fois arrivée à ce point que l’on regardait tout