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« Silence ! silence ! Quel est ce vacarme dans la nuit ? Oies du Capitole, silence ! Je suis l’Italie grande et une.

« Je viens de nuit, parce que le docteur Lanza craint les coups de soleil : il veut conserver les égards voulus dans certains cas, il veut

« Qu’on ne tranche pas trop du seigneur et maître dans Rome au-delà de certaines limites. Allons, ne faites pas, mes chères oies, tant de bruit, de peur qu’Antonelli n’entende…

« Si c’est pour Brennus, mes oisons, votre garde est en pure perte. J’ai été assez courageuse et assez fine pour entrer quand il s’en allait.

« Oui, je portais le sac aux zouaves, je battais des mains hier aux turcos ; aujourd’hui mes graves bambins s’habillent en uhlans.

« Devant le chapeau rouge ou devant le casque toujours à genoux ; mais, adroite et leste, je secoue la poussière d’une adoration pour en commencer une nouvelle.

« Ainsi d’un pied à un autre, fille de Rome, je porte mes baisers, et j’incline dans la fange ma chevelure couronnée de tours avec son étoile,

« Pour rattraper ce que la mauvaise fortune de celui-ci ou l’ennui de celui-là veut bien me laisser. Ainsi j’ai pu retrouver le vieil héritage de Troie,

« Pièce à pièce, entre un premier pas et un second ; le voilà rétabli. Le sang n’est pas de l’eau, et j’ai reçu les leçons de Niccolo Machiavelli… »


Nous ne tirons de ce morceau que la peinture de l’événement de 1870 : il s’est accompli fort modestement, ce qui ne fait pas le compte de la démocratie de ce pays. L’esprit de Cola Rienzi n’est pas mort, et il s’agit toujours pour ces républicains rétrospectifs de rétablir de toutes pièces la ville de Romulus : politique de poètes, de professeurs et d’archéologues ! Ils se figuraient une Italie un peu échevelée, les yeux fulgurans, le sein nu comme une amazone entrant à Rome sur un char de triomphe, précédée de la terreur et de la menace. L’éclat de son cimier devait éblouir comme la lueur sanglante d’une comète ; sous les roues du char, on entendait craquer les empires détruits. Telle ils se l’imaginaient au milieu du monde ancien, silencieux et dompté, telle ils la voudraient encore, inspirant aux nations l’épouvante[1]. La puissance et le bruit dans le monde entraient dans leur programme plus que la liberté. Effrayer l’église, mettre en fuite le saint-siège, n’était pas pour eux une objection : ils tenteraient, s’ils le pouvaient, de réveiller de leur sommeil séculaire les dieux du Capitole ; mais s’efforcer de vivre en paix avec le souverain pontife, faire des concessions, concilier les entreprises, les conquêtes, la politique actuelle, avec les croyances des

  1. Decennali.