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qui s’étendait déjà des deux versans des Pyrénées jusqu’aux rives du Bosphore.

Ici se pose là question moins simple qu’on ne le croirait au premier abord, des relations des cathares occidentaux avec ceux de l’Orient.

L’Arménie au VIIe siècle avait été le théâtre d’un essai de retour au christianisme apostolique, du moins au christianisme de saint Paul, dont le promoteur fut un certain Constantin de Samosate. La prétention de mettre toujours la personne et les écrits de l’apôtre Paul au premier rang fit que l’on appela ses adhérens les pauliciens. A leur antipathie contre la loi juive et même contre tout l’Ancien-Testament, ils joignaient des principes très dualistes et une morale très sévère. Le manichéisme comptait encore des partisans dans ces régions écartées ; ses débris passèrent dans l’église paulicienne. Il est à noter qu’en dépit et peut-être en raison même de l’austérité qu’ils affichaient, leurs ennemis les accusent déjà de mœurs honteuses, et prétendent que leur secte n’est qu’une école de dépravation monstrueuse dirigée par un président qu’ils appellent le ryparos, c’est-à-dire l’ordurier. Il est inutile de rappeler ici que toutes les sociétés religieuses à leur tour, celles surtout qui s’enveloppent d’un certain mystère, sont l’objet de ces odieux soupçons. Ce qui pouvait toutefois alimenter ces calomnies, c’était la dépréciation du mariage et de la génération. Malgré des persécutions fréquentes, les pauliciens augmentèrent en nombre dans les provinces frontières de l’empire grec, au point qu’au IXe siècle l’impératrice Théodora leur déclara une guerre à outrance. Les pauliciens se défendirent vigoureusement, et, peu rassuré par les succès des armées impériales, l’empereur Basile, qui redoutait surtout de les voir s’allier aux Arabes, leur offrit de les transporter en Thrace, où déjà plusieurs d’entre eux avaient émigré. Ils acceptèrent, et menèrent dans leur nouvelle patrie une existence assez prospère, concentrée principalement à Philippopolis et aux environs, jusqu’à ce que l’empereur Alexis Comnène, qui leur avait enlevé leurs franchises en 1085, s’avisa en 1115 de les ramener à l’orthodoxie grecque. Il réussit auprès d’un certain nombre, mais l’hérésie s’était déjà propagée au sein des populations slaves, surtout en Bulgarie. On sait combien le vieux polythéisme slave était dualiste, et le penchant au dualisme était resté prédominant dans toute cette région[1]. En même temps, l’ancienne rigueur paulicienne s’adoucit, et, sous le

  1. Il se pourrait même qu’une tendance analogue à celle des pauliciens se fût déjà fait valoir parmi les moines slaves en dehors de toute influence asiatique. C’est du moins l’opinion de M. Schaffarik, qui fait autorité en matière d’antiquités slaves, et qui a déterré un pope bulgare du milieu du Xe siècle portant le nom de Bogomil, de Bog, Dieu, — mil, avoir compassion. C’est précisément le nom des cathares slaves.