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a eu ses chantres harmonieux. Après 1815, partagé entre les consolations religieuses qui lui parlaient d’une Providence et le désespoir qui ne voyait dans la création qu’une fatalité sans entrailles, ce pays, alors malheureux entre tous ; entendit les hymnes sacrés de Manzoni et les éloquentes malédictions de Leopardi. 1821 releva les courages et suscita le Lombard Berchet et le Florentin Niccolini : l’un aguerrit la molle strophe italienne et lui fit exprimer la haine de l’étranger ; l’autre continua sur des scènes souvent obscures la tradition républicaine d’Alfieri. Après 1830, le Béranger toscan, Giusti, travaillait avec ses satires à l’œuvre de la liberté. Quand 1847 vit naître des espérances que rien désormais ne pouvait plus étouffer, la vie active commença en Italie, et la poésie dut rentrer peu à peu dans son vrai domaine. De 1847 à 1859, si M. Aleardi engagea la lutte avec l’arme fragile des vers contre les Autrichiens maîtres de la Lombardie, M. Prati en Piémont put se livrer à sa libre fantaisie et se contenter d’être quelquefois le poète de la dynastie constitutionnelle.

Après 1859, il semble qu’il ne reste plus de place pour la poésie dans la politique. Son rôle est fini ; elle a préparé la nation à de nouvelles destinées, elle a ouvert la voie aux hommes de guerre, car les changemens les plus légitimes dans le sort des nations se font malheureusement avec le fer. Quand l’œuvre du soldait est accomplie, c’est à l’homme d’état d’organiser la conquête, même quand le peuple est son propre conquérant. Le temps des Amphions et des Orphées est passé : on n’établit pas un gouvernement, des chambres, un code de lois, une armée, un budget, avec des strophes. Ne convient-il pas alors que les poètes quittent le forum et rentrer dans leur vrai domaine, dans la retraite studieuse, où ils retrouvent la nature et la vérité ? Et qui sera le gardien de ce sanctuaire, s’il est délaissé par ceux qui en doivent entretenir le culte ?

Cependant il n’en est pas ; ainsi de l’autre côté des Alpes. Lyriques, satiriques, dramaturges, ne s’empressent pas de quitter le champ de bataille des partis : il en résulte ce double inconvénient, beaucoup de poésies de circonstance et une large dose de politique rimée. Je ne crois pas que le danger en soit fort à craindre dans un pays pourvu d’un grand sens et rompu par les siècles aux habitudes de la docilité ; pourtant la dignité des lettres en souffre, et les écrivains s’accoutument à faire leur trouée dans le monde par des témérités, à surprendre l’attention publique avec un peu de talent et beaucoup de bruit. Au milieu de ce conflit de stances dont on aurait pu se passer, il y a cependant des pages faites pour mériter l’intérêt. Nous trouvons des unes et des autres dans un écrivain jeune encore qui a emporté de nombreux suffrages et soulevé tout autant