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domestiques, un cuisinier et une tente consacrée uniquement à servir de salle à manger ; ceux qui se trouvent dans ces conditions vivent à leur guise, ayant bonne table, bouteilles nombreuses et variées, des visiteurs toujours, cela s’entend, et en somme ne dépensent pas beaucoup plus. Seulement chacun à son tour a l’ennui de s’occuper du ménage et d’aller au marché, où tout se vend aux enchères, depuis le poulet jusqu’à la botte de carottes. Ce marché, qui se tient tous les matins sur une grande place d’environ un kilomètre carré, offre un coup d’œil assez étrange sous le rapport de la variété. Les comestibles de toute sorte à côté de lingeries et de vieilles défroques, les fourgons de bois, les chevaux, les harnais, les objets de ménage, les tentes, les troupeaux de bœufs ou de moutons, les ferrailles, les outils, enfin tout ce qui peut se vendre y est envoyé et y trouve un acquéreur à des prix quelquefois assez modiques, à moins qu’il ne s’agisse de comestibles, car, excepté la viande de boucherie, qui est abondante aux mines, tout ce qui se consomme est fort cher. Un cuisinier ou se disant tel, sachant tout au plus faire bouillir de l’eau, se paie au minimum 150 francs par mois, et à ce prix n’a-t-on généralement qu’un empoisonneur émérite. L’usage des viandes saignantes et des boissons fortes, la rareté des légumes et peut-être aussi la mauvaise qualité de l’eau, ne tardent pas à enflammer le sang au point qu’en été la plus légère égratignure devient en quelques heures une plaie douloureuse, fait enfler tout le membre, et peut causer de grandes souffrances pendant plusieurs mois. C’est un tribut que paient la plupart des nouveau-venus.

Du climat des mines, je me contenterai de dire quelques mots, ne m’étant pas trouvé dans des conditions qui m’aient permis de l’étudier. Il m’a été affirmé que, d’après les observations faites par un médecin anglais, pendant l’hiver de 1871 le thermomètre est descendu, aux mines de rivières, à 25 degrés Fahrenheit au-dessous de glace (environ 14 degrés centigrades), et que pendant l’été il s’est élevé, à l’ombre, à 150 degrés Fahrenheit (66 degrés centigrades). Je peux déclarer à mon tour qu’au New-Rush, où les saisons sont beaucoup moins rigoureuses qu’aux mines de rivières, pendant l’hiver de 1872 (juin à septembre) mon thermomètre est descendu, en plein air, à 10 et 12 degrés centigrades au-dessous de zéro, et qu’à la fin de septembre il est monté, dans ma tente, à 39 degrés centigrades. Jugeant qu’une augmentation de température ne conviendrait pas à ma santé, je suis parti sans plus observer. Il y a toujours une grande différence entre la température des jours et celle des nuits : en été, malgré la chaleur brûlante des journées, les nuits sont presque toujours assez froides pour nécessiter l’emploi de couvertures de laine ; en hiver, quel