Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/583

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grandes agglomérations d’hommes de faire le mal plus facile en en rendant la répression moins aisée. J’ai pu voir ce même soir un magnifique diamant de 115 carats extrait dans la journée par un mineur arrivé la semaine précédente, et qui venait d’acheter pour la modique somme de 625 francs un claim jusque-là stérile. Le premier propriétaire y avait travaillé trois mois sans rien trouver ; découragé, il s’était défait de son terrain, dont la stérilité devait cesser au moment même. Des faits de cette nature se représentent presque tous les jours ; on m’a cité un Irlandais qui avait acheté 25 fr. un mauvais claim, et qui après quelques heures de recherches trouvait un diamant qu’il vendait 75,000 francs. Ces gains inespérés racontés de bouche en bouche n’ont pas tardé d’attirer aux mines une population considérable qu’on a estimée à 75,000 âmes pour le New-Rush seulement, avec beaucoup d’exagération sans doute ; mais il est sûr que le nombre des personnes qui vivent aux mines est très élevé. On y construit maintenant des magasins en bois ou en tôle, et même de petites maisons qui coûtent fort cher à cause du transport, qui revient à environ 65 centimes par livre pesant, car on ne trouve absolument rien sur les lieux, et il faut faire venir tous les matériaux de Cape-Town ou de Port-Élisabeth. Une planche de sapin coûte 20 francs, une solive 80 francs, et le reste à l’avenant ; la main-d’œuvre se ressent aussi du manque d’ouvriers, et l’on ne peut se procurer un homme se disant charpentier parce qu’il sait enfoncer un clou pour moins de 25 francs par jour : aussi n’y a-t-il guère que les mineurs riches qui puissent se passer le luxe d’une maison. Ceux-là vivent d’une manière assez agréable, ayant bonne table, piano, chevaux et voitures, terrain de crocket, allant aux concerts, aux courses, aux bals, aux représentations théâtrales, car il y a maintenant tout cela, même une table de roulette. Avec le sens pratique qui caractérise les races saxonnes, les Anglais des mines ont trouvé deux moyens nouveaux d’attirer le monde à la roulette et au théâtre. Dans la salle de jeu, il y a toujours à la disposition des joueurs des cigares, des biscuits assortis et des rafraîchissemens variés et de premier choix, même du vin de Champagne, le tout à discrétion et absolument gratuit ; on ne se fait pas faute d’en user, sans indiscrétion cependant. Quant aux théâtres, afin qu’il soit possible d’en jouir sans trouble, les enfans en sont exclus par une mesure qui fixe le prix de leur place à 125 fr. Il est probable que les membres du comité qui a pris ces mesures devaient être des célibataires ; mais il faut reconnaître qu’ils ont agi dans l’intérêt public, et personne ne s’en plaint. Les femmes trouvent aux mines des modistes et des bijoutiers, les enfans des écoles, les hommes des cercles avec tous les journaux de l’Europe ; mais il