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les animaux étaient ou pouvaient être des personnes jadis humaines qui n’avaient pas achevé la série de leurs métempsycoses ; mais par une singulière contradiction il était licite de se nourrir de poisson. Cette distinction venait de ce qu’on ignorait le mode de propagation des animaux aquatiques ; on ne savait pas qu’ils proviennent, aussi bien que les animaux terrestres, d’une fécondation sexuelle, soumise seulement à d’autres conditions. En revanche, tous les êtres évidemment nés d’une copulation charnelle avaient, en vertu des prémisses connues, une origine impure. Par la même raison, le mariage lui-même était considéré comme illicite. Ne servait-il pas à augmenter le nombre des esclaves de Satanael ? C’est pourquoi la sainteté cathare n’était compatible qu’avec le célibat, et l’on voyait des époux se séparer d’un commun accord pour se vouer entièrement à la purification de leurs âmes.

Des principes d’une pareille austérité eussent naturellement empêché la société cathare de s’étendre et même de subsister ; mais il y avait, comme dans le vieux manichéisme, deux degrés de pureté. Les parfaits ou les bons hommes, c’est-à-dire ceux qui s’astreignaient à toutes les rigueurs du code cathare, formaient une aristocratie spirituelle, distincte des simples croyans, lesquels pouvaient vivre de la vie ordinaire, tout en faisant de leur mieux pour se rapprocher de la sainteté suprême, mais à la condition de rester en communion permanente avec les parfaits. Ceux-ci leur communiquaient la pureté au moyen du baptême d’esprit appelé consolamentum, et l’administraient par l’imposition des mains sur la tête de leurs pénitens. C’est là le grand rite cathare, caractéristique de la secte, le sacrement qui la rendit populaire, et dont le prestige survécut longtemps à sa courte floraison. C’est par le consolamentum que le croyant recevait l’esprit, c’est-à-dire cette force divine dont l’âme était séparée par le fait de sa chute, et qui devait lui servir de véhicule pour remonter aux sphères éthérées. Quand le moment de l’administrer était venu, un parfait, après une ablution manuelle et une prière dans laquelle il était dit : Aias mené de l’esprit pansât en carcer, « aie compassion de l’esprit mis en prison[1], » prenait le livre des Évangiles, exhortait le pénitent à mettre tout son espoir dans ce consolamentum, puis il posait le livre sur sa tête et prononçait sept fois l’oraison dominicale. Suivait une lecture du commencement de l’Évangile de Jean, et la cérémonie se terminait par une bénédiction et le « baiser de paix. » Le consolé se relevait en communion avec le ciel, quelquefois il se vouait lui-même à la vie des parfaits ; le plus souvent il reprenait son train de vie ordinaire, mais dans l’espoir de réitérer cette cérémonie salutaire, car l’essentiel

  1. Rituel cathare de Lyon.