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rédemptrice en triomphant de Satanael ; Celui-ci perdit le gouvernement du monde, mais conserva le pouvoir de nuire. La rédemption des âmes s’opère selon ce système aux mêmes conditions que dans le premier ; mais, moins lié par la rigueur de son dualisme, admettant même qu’il y a toujours quelques relations entre Satanael et Dieu, ce point de vue mitigé s’ouvre à l’espérance du retour de tous les êtres spirituels, de Satanael lui-même, dans le vaste sein du père de tous.

Les deux systèmes se rejoignaient dans leur manière de considérer les livres saints et dans les formes essentielles de la piété. Ils rejetaient l’Ancien-Testament, qu’ils considéraient comme dicté par le génie du mal, voulant tromper par un faux-semblant de religion pure l’aspiration naturelle de l’âme vers le Dieu saint Jéhovah n’était qu’un déguisement de ce mauvais esprit, et la loi juive le moyen fallacieux d’éterniser son pouvoir. Toutefois ils croyaient trouver dans les prophètes et dans les psaumes des inspirations du Dieu de bonté qui voulait préparer la rédemption. Ils reconnaissaient en revanche l’autorité du Nouveau-Testament[1], mais leur livre favori était le quatrième Évangile, dont ils forçaient évidemment le sens réel, sans qu’on puisse leur contester entièrement le mérite d’avoir devancé la critique moderne en relevant plus d’un passage à tendance dualiste ou favorisant l’idée que le corps de Jésus n’était pas tout à fait semblable au nôtre. Ils tenaient aussi en grand honneur un évangile apocryphe également attribué à l’apôtre Jean, et qui doit leur être venu d’Orient, ainsi qu’une apocalypse, orientale aussi, intitulée Vision d’Ésaïe.

Des principes communs aux deux systèmes résultait également que le péché consistait avant tout dans l’amour des créatures matérielles ; la création visible était aux deux points de vue l’œuvre du mauvais principe. Donc toute inclination sensuelle, toute appétence des biens matériels était coupable per se. La possession de la richesse, le commerce avec les personnes mondaines, le mensonge intéressé, — à moins qu’il ne s’agît d’échapper à la persécution en trompant le grand trompeur infernal, — la guerre, le meurtre des animaux, les reptiles exceptés, l’usage du lait et de la viande, étaient interdits. Ces deux derniers préceptes se rattachaient à l’idée que

  1. M. le professeur Reuss, de Strasbourg, a étudié de près la version cathare du Nouveau-Testament d’après un manuscrit de Lyon. L’Apocalypse vient tout de suite après les Évangiles et les Actes ; les épîtres dites catholiques suivent, et enfin les épîtres de Paul, augmentées d’une épître aux Laodicéens, tenue longtemps pour authentique. le savant professeur a été frappé de l’exactitude relative de cette version cathare. Le dialecte est un roman se rapprochant de l’espagnol. Ce sont les noms propres qui paraissent avoir le plus souffert.