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LA FONTAINE
A PROPOS D'UNE NOUVELLE EDITION ILLUSTREE

Fables de La Fontaine, publiées par D. Jouaust, avec une introduction par M. Saint-René Taillandier, de l’Académie française, ornées de douze dessins originaux de Bodmer, J.-L. Brown, F. Daubigny, Détaille, Gérôme, L. Leloir, Emile Lévy, Henri : Lévy, Millet, Ph. Rousseau, Alf. Stevens, J. Worms.

« Un jour, raconte Walckenaer, Molière soupait avec Racine, Despréaux, La Fontaine et Descoteaux, fameux joueur de flûte. La Fontaine était, ce jour-là encore plus qu’à son ordinaire, plongé dans ses distractions. Racine et Despréaux, pour le tirer de sa léthargie, se mirent à le railler si vivement, qu’à la fin Molière trouva que c’était passer les bornes. Au sortit de table, il poussa Descoteaux dans l’embrasure d’une fenêtre, et, lui parlant d’abondance de cœur, il lui dit : « Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n’effaceront pas le bonhomme ! » Poète, c’était lui en effet qui des quatre l’était le plus, poète dans le sens naturel, le vrai sens du mot. La Fontaine est un inconscient, il bavarde, dit ce qui lui vient, se répète, rabâche, original, primesautier, partout prenant ses coudées franches. Il est en réaction contre l’esprit du siècle, esprit d’état sorti de Richelieu, qui ne plaisante point avec le style et veut une langue bien morigénée, une langue ayant portée sociale, philosophique et ne se permettant aucun zigzag. Dans les affaires du gouvernement, comme dans les choses de la vie littéraire, c’est le règne de l’autorité, l’individu ne saurait penser que ce que pensent la cour et la nation. Le côté idéal du siècle de Louis XIV nous apparaît sous des mœurs grecques et romaines dans les tragédies de Racine, le côté comique dans le théâtre de Molière : siècle despotique et bigot, mais d’un despotisme et d’une bigoterie que tempèrent le goût et la raison, « le bon sens avec l’expression heureuse,