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en avant sur le fait et lui montrant la direction qu’il doit suivre.

Selon la remarque d’un hégélien, M. Arnold Ruge, « tout en continuant avec Kant et Fichte de proclamer la liberté la fin de l’histoire, la philosophie de Hegel vivait en paix avec tout le monde, même avec la servitude, la plus absolue ; elle se montra satisfaite de toute situation, de tout résultat actuel, le considérant comme arrivé avec nécessité. » L’exemple donné par Hegel n’a été que trop suivi en Allemagne : le fatalisme a fini par y étouffer le libéralisme.

Destruction de toute règle fixe au profit des forces variables, absorption de l’idée dans le fait et de la liberté, dans le despotisme, est-ce là pourtant le dernier mot des doctrines de l’Allemagne contemporaine ? La théorie de la force n’a-t-elle point, elle aussi, son idéal qu’elle peut opposer au fait, et où elle peut trouver, une règle de direction ? Cet idéal ne consisterait-il pas dans une certaine liberté sociale qui n’est point incompatible avec le fatalisme ? Il n’est pas sans importance pour la cause libérale, menacée aujourd’hui par l’Allemagne, de savoir si la liberté ne se recommanderait pas au point de vue même de la force, et si elle n’est point la plus grande des forces.

En ce cas, la doctrine fataliste ne serait pas encore arrivée en Allemagne à la forme définitive qu’elle revêtira dans un temps plus ou moins rapproché. Pour prévoir le développement historique d’une doctrine, il suffit d’en développer soi-même les conséquences logiques, et de hâter ainsi par la pensée l’œuvre du temps. Avant de réfuter la doctrine allemande, il faudrait d’abord la compléter, comme elle se complétera un jour elle-même ; car, si on s’arrêtait à moitié chemin dans les déductions, le jugement ne pourrait être définitif, et il suffirait d’un nouveau progrès de la doctrine pour remettre tout en question. Essayons donc, afin de rendre l’appréciation moins difficile, d’aller plus loin que ne sont allés encore les Allemands. Cherchons si le fatalisme dans ses dernières déductions ne tendrait pas à sortir du despotisme ou de l’anarchie pour s’élever jusqu’au libéralisme, et si la doctrine germanique de la force n’aspirerait pas ainsi à se rapprocher de la doctrine française du droit. En un mot, ne pourrait-on construire d’avance, quelque étranges que les expressions paraissent, une sorte de fatalisme libéral, et montrer que c’est là l’idéal dont les écoles allemandes seront forcées elles-mêmes de poursuivre la réalisation ? — Il restera d’ailleurs à chercher si la réalisation de ce libéralisme idéal est possible pour les écoles qui nient le droit, et si elles sont capables d’atteindre réellement ce qu’elles sont logiquement obligées de poursuivre.

L’idéal de la doctrine de la force, c’est naturellement de réaliser