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Régulièrement à la guérison du grand corps malade ; mais tous ne partageaient pas la foi robuste de saint Bernard dans l’efficacité de cette méthode, ni même dans le droit divin du clergé. Déjà l’on rencontrait des esprits plus hardis qui ne reculaient pas devant une rupture avec l’ordre établi. A son tour, ce point de vue révolutionnaire se prêtait à deux conceptions très différentes. Ou bien l’on procéderait populairement, on laisserait de côté les dogmes et les mystères pour ne s’appuyer que sur la conscience des simples, on remonterait par-dessus le clergé aux sources mêmes de l’enseignement évangélique, on ramènerait l’enseignement chrétien à la simplicité des premiers jours, à la morale prêchée par le Christ lui-même, — ou bien l’un ou l’autre des anciens principes condamnés par l’église reprendrait vie et force contre une hiérarchie qui s’était arrogé des prérogatives démenties par les faits. le propre, l’originalité du catharisme, c’est qu’il appartient à cette dernière catégorie. Bien loin d’être la première des hérésies modernes, il est la dernière des anciennes. C’est ce que nous allons tâcher de démontrer.

Au XIIe siècle en effet, on voit surgir à côté de lui des essais de réforme d’esprit tout démocratique. Tanquelin dans les Pays-Bas (1115-1124), Eudo de Stella en Bretagne (mort en 1148), soulèvent les multitudes au souffle de leur parole ardente, et mêlent à leur opposition furibonde à l’église des idées d’une bizarrerie qui confine à la démence. Ce n’étaient encore là que des ouragans qui passent sans laisser de traces durables. Un mouvement plus sérieux fut celui que suscita le prêtre Pierre de Bruis (1104-1124), bientôt suivi par son disciple Henri, ancien moine de Clairvaux (1116-1148). C’étaient des prédicateurs itinérans, de mœurs austères, animés d’une certaine fureur iconoclaste. Ils en voulaient au baptême des enfans, aux autels, qu’ils faisaient enfouir, aux croix, qu’ils faisaient brûler, à la présence réelle du corps de Jésus dans l’eucharistie, au sacrifice de la messe, à l’efficacité des prières pour les âmes du purgatoire, et ils ramenaient la vie chrétienne à l’observation consciencieuse des préceptes évangéliques ; c’était du radicalisme ecclésiastique. Henri paraît avoir exercé un grand prestige sur les masses. Son action se fit sentir du Mans jusqu’à Lausanne, en passant par le midi de la France. Saint Bernard reçut du pape Eugène III l’ordre d’aller le combattre, et, malgré la protection dont le couvrait Ildefonse, comte de Saint-Gilles, saint Bernard réussit à le faire jeter dans les cachots de l’évêque de Toulouse, où il ne tarda pas à mourir ; Pierre de Bruis doit avoir été brûlé vif par une population furieuse. C’est aux semences de réforme répandues par ces hardis prêcheurs, qu’il faut, selon toute vraisemblance, attribuer l’essor que prend dans la seconde moitié du XIIe siècle la tendance dite des vaudois ou pauvres de Lyon, qui a son foyer principal dans les