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présenter la guerre comme un remède aux ennuis de l’existence commune. « Je ne sais quelle inquiétude et quelle angoisse pèsent sur la vie ; il n’est pas besoin d’être lâche pour être par momens opprimé de lugubres appréhensions, pour démêler sous les êtres qui nous entourent comme autant de menaces et de fantômes. » Voilà une angoisse toute romantique et germanique, née du symbolisme universel. Il y a plus d’une manière, selon M. Vischer, de secouer cette angoisse ; « l’une des plus efficaces, c’est de se mêler aux mouvemens fougueux de la guerre. Celui qui ne compte plus avec la vie éprouve, au milieu des images de mort qui l’assaillent de toutes parts, un réconfort intime ; les nuages qui l’obsédaient se dissipent, et il jouit de la vie elle-même avec plus de plénitude et d’intensité. »

De leur côté, les théologiens, lecteurs assidus de l’Ancien-Testament et adorateurs du Dieu des armées, s’accordent avec les philosophes pour ériger la guerre en œuvre sainte et pour donner raison au plus fort. Les hétérodoxes, comme Strauss, ne le cèdent en rien aux autres. « Une intelligence plus profonde de l’histoire nous a appris que c’est l’instinct d’expansion des peuples qui éclate dans l’ambition des conquérans, et qu’ils ne sont que les représentans d’aspirations générales. La suppression de la guerre n’est pas moins chimérique que la suppression des orages, et ne serait pas moins dangereuse. L’ultima ratio des peuples sera, dans l’avenir comme par le passé, le canon. »

La théorie hégélienne de la guerre, par un progrès nouveau, ne pouvait manquer de se combiner avec la théorie germanique des races et avec le système de Darwin. A la puissance des individus, à celle du temps, à celle des peuples, succède la force des races, et par conséquent le droit des races que la lutte des nations fait surgir. Sous cette nouvelle forme, le droit de la force essaie de se justifier absolument en se révélant comme la loi de la nature entière. Pour faire le triage des espèces qui méritent la vie et de celles qui doivent périr, la nature n’a eu qu’à laisser agir à travers les longues périodes des anciens âges les lois mécaniques de la force ; cette apparente brutalité est sagesse, et cette force est droit. Les plus forts en effet ne sont-ils pas ceux qui, grâce à une supériorité naturelle ou acquise, se trouvent le mieux en harmonie avec les conditions nouvelles de l’existence, et qui, dans le mécanisme de leurs organes, ont devancé l’avenir ? Les grands arbres étouffent les petits et leur enlèvent la lumière du soleil avec la sève de la terre ; mais c’est en se nourrissant des débris de ces arbustes inférieurs qu’ils dressent de plus en plus haut leur tête, signe d’une race perfectionnée. La même loi de guerre et de sélection mécanique régit