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du comte de Toulouse, Guillaume Taillefer III. A la suite de la jeune reine, nombre de clercs et de laïques aquitains étaient venus dans le nord. Faut-il déjà remonter la Garonne pour rencontrer un foyer d’hérésie ? Ajoutons seulement ce trait qui peint l’époque. Constance voulut assister au supplice des condamnés, et au moment où son ancien confesseur passait devant elle, les mains liées, prêt à monter sur le bûcher, Constance crut faire œuvre pie en enfonçant une baguette de fer dans l’œil du malheureux.

Quelques faits analogues, d’une importance moindre encore, ne pouvaient sérieusement compromettre l’unité catholique. Vers la fin du XIe siècle, les luttes de l’empire et du sacerdoce, le pontificat de Grégoire VII, puis le grand mouvement des croisades, absorbèrent les esprits ; mais un autre adversaire de l’église allait lever la tête, et celui-là ne devait pas être facile à vaincre ; Il ne s’agissait pas de dogmes métaphysiques hors de la portée du vulgaire, c’est la conscience morale qui s’insurgeait. La corruption profonde du clergé avait fini par soulever l’opinion. L’église, par ses doctrines et ses prétentions, maintenait un idéal de sainteté très élevé ; dans la pratique, elle semblait prendre à tâche de le démentir. Nous ne referons pas, après tant d’historiens, le tableau très peu édifiant des vices de tout genre dont la hiérarchie ecclésiastique donnait du haut en bas le scandaleux exemple. Il est vrai de dire que cette corruption cléricale ne se distinguait en rien de celle qui régnait dans tous les rangs de la société féodale et que favorisait l’extrême grossièreté des mœurs ; mais les laïques les plus vicieux eux-mêmes sentaient la contradiction qui existait entre la morale officiellement enseignée et la vie réelle de ceux qui l’enseignaient. Des pontifes de mœurs austères, comme Grégoire VII, n’avaient pu élever que des digues insuffisantes contre ce débordement d’immoralité. Le célibat imposé aux clercs par ce pape dans des vues politiques aussi bien que disciplinaires semblait n’avoir abouti qu’à des abus nouveaux et plus crians encore. Du mépris du clergé au doute sur la légitimité de ses pouvoirs religieux, de là à l’ébranlement de la foi dans la doctrine qu’il enseignait, il n’y avait qu’une transition insensible. Depuis le XIIe siècle et par des organes d’une autorité incontestable, tels que saint Bernard, l’idée de la nécessité d’une réforme se répand et devient populaire.

Cependant il y avait plusieurs manières de concevoir cette réforme. Comme le célèbre moine de Clairvaux, on pouvait la désirer sous une forme pour ainsi dire constitutionnelle, c’est-à-dire que, sans toucher au dogme ni à l’organisme traditionnel de l’église, en se servait de l’autorité des conciles et des papes dignes de leur haute position, par de vigoureux appels à la conscience de tous et au moyen d’énergiques mesures disciplinaires, on procéderait