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voisine de l’orgueil les philosophes, les théologiens, les politiques du nouvel empire.

Sous ces rivalités nationales se cachent de graves questions philosophiques et sociales. Les Allemands ne semblent pas avoir les mêmes idées que nous sur la justice, sur le droit naturel et sur le droit écrit ; l’Angleterre a aussi sur ce point ses doctrines et ses traditions. L’esprit public change donc avec les peuples, et il ne saurait être indifférent de connaître quelles conceptions se font de la société humaine ceux qui prétendent la diriger. Ne pourrait-on dire que les trois plus importantes nations de notre temps semblent vouloir se partager les diverses notions philosophiques du droit et de l’ordre social pour les développer dans la théorie et dans la pratique ? Tandis que l’Allemagne, par les spéculations de ses métaphysiciens récens et par les actes de ses politiques, paraît absorber le droit dans la force supérieure, matérielle ou intellectuelle ; tandis que l’Angleterre, par la voix de ses économistes et par sa pratique habituelle des affaires, réduit le droit à l’intérêt majeur, la France, par les doctrines de ses principaux philosophes et de ses jurisconsultes, en dépit des contradictions et des défaillances de sa politique, en dépit de ses infidélités à sa propre tradition et de ses engouemens pour l’étranger, la vraie France, disons-nous, celle des Montesquieu, des Turgot, des Rousseau, celle qui aujourd’hui encore pense et espère en se souvenant de son passé, a toujours placé le fondement du droit et de la philosophie sociale dans ce qui est en même temps le principe de la philosophie morale : la raison et la liberté. De quel côté est le vrai, et quel est le peuple qui représente l’avenir ? Grave question que nous n’avons pas la prétention de résoudre. Nous voudrions seulement appeler aujourd’hui l’attention sur la manière dont l’Allemagne contemporaine se figure le monde humain : il n’est ni sans intérêt ni sans utilité de savoir où elle va et où elle doit aboutir. Que serait la société, si elle était organisée à la manière allemande ? Comment nos voisins conçoivent-ils les rapports du droit avec la force matérielle et avec cette force intellectuelle qu’on nomme le génie ? Pour essayer de l’apprendre, nous voudrions faire au-delà du Rhin un voyage de découverte ou une sorte de reconnaissance, arriver à une vue d’ensemble sur la doctrine allemande, en déterminer le point de départ, le point d’arrivée et les a évolutions » intermédiaires. Nous espérons que les lecteurs de la Revue voudront bien nous suivre dans des contrées où l’on a souvent beaucoup de peine à se reconnaître : ce n’est ni par la simplicité ni par la clarté que les systèmes allemands se recommandent, mais la peine qu’ils imposent à l’esprit est parfois salutaire. Nous nous estimerons heureux, pour notre part, si nous parvenons à rattacher ensemble ces systèmes multiples, à les compléter l’un par