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ter le peu de matériel qu’ils possèdent ; ils ont à leur tête un habile homme, le vieux Elio, qui avait organisé la défense des lignes de Bilbao, qui n’est pas à bout de ressources. Ils n’ont pas quitté la Biscaye, et, payant d’audace, ils commencent à reparaître dans le voisinage de Bilbao comme s’ils attendaient ou cherchaient la bataille, pendant que d’un autre côté, pour remonter le moral de ses partisans, don Carlos annonce des victoires de son frère, le prince Alphonse, en Catalogne. Tout tient évidemment à la vigueur qu’on va mettre à les poursuivre ; mais c’est ici que la question se complique. Serrano, aussitôt après la victoire, est parti pour Madrid, laissant au général Concha la direction de la campagne. Concha lui-même ne peut rien, s’il n’a pas des approvisionnemens, des munitions, de l’argent pour payer ses troupes, et il ne peut avoir tout ce qui lui est nécessaire que s’il y a un gouvernement à Madrid. C’est justement un ministère que Serrano est allé tenter de reconstituer, fort de l’ascendant personnel que lui donne le succès des dernières opérations.

Serrano réussira-t-il à refaire un gouvernement ? Dès son arrivée, il est tombé dans une véritable fourmilière, dans une mêlée de républicains, de radicaux, de constitutionnels, d’alphonsistes, se disputant le pouvoir. Il a commencé par demander quelques jours pour réfléchir, et au dernier moment de cette confusion vient de sortir un ministère dont la composition prouve que l’avantage est resté à des opinions modérées, probablement même assez monarchiques. Le général Zabala est le chef de ce cabinet où figurent des hommes qui ont eu autrefois un rôle politique, M. Ulloa, M. Alonso Martinez, M. Romero Ortiz ; M. Sagasta, l’ancien ministre du roi Amédée, l’antagoniste de M. Martos dans le dernier cabinet, reste ministre de l’intérieur. Le dernier républicain, M. Garcia Ruiz, a disparu. C’est évidemment une évolution conservatrice ; il ne pouvait guère en être autrement, et cette réaction ira sans doute en s’accentuant, car il y a un fait dont il faut désormais tenir compte, c’est la rentrée des chefs de l’ancienne armée. Concha commande dans le nord ; avec lui sont Echague, Letona, Laserna, Martinez Campos, qu’on enfermait dans une citadelle après le coup d’état du mois de janvier pour une manifestation trop conservatrice. Ces chefs ont retrouvé le succès des armes. C’est par eux qu’on peut poursuivre la campagne contre les carlistes si on veut réussir, et Serrano ne se séparera pas sans doute de ses compagnons. Bref, tout indique que l’armée est destinée encore une fois à jouer un rôle dans la politique au-delà des Pyrénées. C’est à la prépondérance militaire que les événemens conduisent ; pour le moment, ils ne conduisent que là, et rien de décisif ne sera fait, selon toute apparence, avant le dénoûment de la guerre civile qui donnera peut-être à l’Espagne, avec la paix, un gouvernement en état de réconcilier toutes les opinions libérales.

CH. DE MAZADE.