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une crise parlementaire, une scission de majorité, qui n’est certes point impossible, peut-on nous dire quels moyens réguliers il y aurait de sortir de là ? Il n’y en a aucun jusqu’ici. Il faudrait arriver droit à la dissolution, et on y arriverait par impuissance, en laissant le gouvernement sans organisation, le pays sans appui, sans direction, après avoir laissé échapper l’occasion d’offrir le sérieux spectacle d’une assemblée souveraine transmettant à ses successeurs un héritage d’ordre et de sécurité. Véritablement peut-on placer un pays entre le danger d’un vote émis au hasard, dans la fièvre d’une crise universelle, et les coups d’état ? On ne peut pas le vouloir, on ne peut pas aller les yeux fermés à ces extrémités, et voilà pourquoi c’est pour l’assemblée une affaire de prévoyance et d’obligation, une affaire pressante, d’accepter ce devoir qui s’impose à elle au moment où elle se réunit, de donner à la France un régime régulier, défini.

La nécessité est éclatante, elle se dégage de toute une situation, et les élémens de cette organisation nécessaire sont tout aussi clairement indiqués. Pour les coordonner, pour arriver à une solution pratique, il n’y a qu’à le vouloir ; il suffit de s’en tenir à ce qui est possible, de mettre un instant de côté les intérêts, les passions et les préjugés de parti. Ah ! c’est là, nous le savons bien, la difficulté. L’assemblée est à peine réunie depuis deux jours ; la première séance s’est passée à recevoir la démission et à écouter les explications embarrassées du député séparatiste de Nice, M. Piccon, qui a écrit une lettre pour prouver qu’on pouvait être député de la France et appeler de ses vœux ou prévoir un nouveau démembrement de la France. La démission de M. Piccon, fort bien, il n’avait rien de mieux à faire. Les explications qu’il a cru devoir donner n’ont eu d’autre mérite que de fournir à un jeune député de la Savoie, M. Costa de Beauregard, l’occasion de déclarer avec chaleur que dans ce bon et honnête pays de Savoie tous monarchistes et républicains, n’avaient dans le cœur qu’un seul sentiment, le sentiment de fidélité à la France. La seconde séance de l’assemblée a été occupée par la réélection de M. Buffet à la présidence. Jusque-là tout est bien ; mais dès les premiers jours, on le sent, la crise est dans l’air. Les partis arrivent plus animés que jamais, avec leurs mots d’ordre et leurs plans de campagne. La lutte est visiblement engagée entre ceux qui veulent les lois constitutionnelles et ceux qui se proposent dès aujourd’hui de mettre tout en œuvre pour arrêter ces lois au passage, pour les ajourner ou les dépouiller d’avance de tout caractère sérieux. Avant même que la question soit arrivée à la discussion publique, la lutte a commencé dans les conciliabules sur un point de procédure parlementaire, sur la mise à l’ordre du jour de la première des lois constitutionnelles, de la loi électorale, que les légitimistes de l’extrême droite tiennent à écarter. La tactique des légitimistes extrêmes est évidente. Ils veulent faire passer avant tout la loi municipale, une loi sur l’enseignement supérieur, les