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pas de ceux dont l’éducation seule développe les instincts ; il fut coloriste de naissance, et, s’il avait pu vaincre les défauts qu’une fée maligne jeta dans son berceau, il se mêlerait, sans que personne y fît résistance, à la famille des plus grands maîtres ; mais son ambition ne sut pas assez se contenir. Il y a des limites qu’il est bon de se poser, et on pardonne même au génie de ne pas se montrer universel. Delacroix voulait être avant tout un peintre d’histoire et se faire l’interprète des plus grands poètes ; il y eût mieux réussi, s’il avait avec plus de prudence réservé son attention et ses forces, et, pour ne pas sortir des salles où nous trouvons son nom, des études plus circonscrites lui eussent laissé le temps de ressusciter d’une manière moins contestable la beauté de cette Cléopâtre dont les amis du peintre doivent regretter la présence compromettante en face du Prisonnier de Chillon.

Dans le temps de lutte esthétique au milieu duquel se développa son talent, Delaroche apparut, non comme un conciliateur, il était trop fin pour se risquer dans ce rôle sans profit, mais plutôt comme un sage philosophe, éloigné des opinions extrêmes aussi bien par réflexion que par tempérament. On eût dit qu’il ne sortait de la foule, dont il partageait du reste les goûts raisonnables, que pour apprendre à ceux qui recherchent les applaudissemens du public par quels moyens prudens on arrive à les conquérir. C’est pour cela qu’il préféra le plus souvent l’anecdote émouvante à la grande histoire et le ton de l’épître à celui de l’ode. Toutefois il s’essaya sans désavantage dans la peinture de style, et l’hémicycle de l’École des Beaux-Arts mit en évidence l’alliance qui s’était faite si facilement dans cet esprit bien équilibré entre la réalité et l’idéal. Pour beaucoup de juges, la Mort du duc de Guise reste le meilleur ouvrage de Delaroche. C’est avec lui qu’il dit adieu à un genre auquel il dut sa popularité. Le succès ne lui revint jamais depuis sans lui marquer en même temps sa rancune. L’artiste passa outre, et, s’enveloppant de silence, il poursuivit fièrement le chemin nouveau qu’il s’était choisi. Cependant il avait gardé, sans le croire peut-être, ses anciennes prédilections, et, lorsqu’il aborda dans ses dernières compositions les scènes de l’épopée évangélique, l’histoire de la Passion même prit, sous un pinceau qui voulait rester respectueux, l’intérêt mal à sa place d’un chapitre de roman.

La Mort du duc de Guise est utile à regarder. Elle donne un bon exemple à ceux qui s’essaient aujourd’hui à la peinture de genre historique. La touche est exempte de mièvrerie ; elle ne se substitue pas au sujet et ne cherche pas à attirer seule l’attention du spectateur. La couleur, en quête de l’effet, reste sincère et probable. Point de détails inutiles, point de cliquetis de ton, malgré le prétexte