Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de Turin, on n’oublie pas le visage de cet aimable patricien. On dirait que cette fois, et dans le cadre rétréci où il se renferme, le brillant artiste s’est contenté de peindre l’âme de son modèle, tant il a promené d’une main légère son pinceau sur la toile, tant il a voulu adoucir l’éclat de ton dont il illumine d’habitude les traits qu’il reproduit. Ce jour-là, il s’est laissé séduire par l’expression de la finesse et de la bonté, et le spectateur en est comme attendri. — Comment écrire sans s’y arrêter le nom de Velasquez et celui de Rembrandt ? Nous renvoyons les amateurs du grand magicien, et c’est tout le monde, aux portraits appartenant à Mme la princesse de Sagan. Il n’en est pas de plus beau dans l’œuvre de l’illustre Hollandais que celui de ce jeune homme qui cache sous l’ombre d’un large feutre son regard chargé de tristesse. Rembrandt n’est pas seulement le plus puissant, le plus original de ces poursuivans de la lumière et du soleil, un génie qui n’a pas d’ancêtres ; il est plus encore, c’est un penseur. On pourrait presque dire que la couleur qui plaît à cet étrange poète est une des formes de sa sensibilité. Nous arrivons trop vite à ces petits maîtres de Bruxelles ou d’Amsterdam qui sont la prédilection des amateurs et la joie des salles de vente. Comment décrire tant de merveilles, qui n’ont pour attrait et pour signe distinctif que le brillant de l’exécution : le Marché aux poissons et les Fumeurs de Téniers, les grands et petits portraits de Hals, dont la fougue brutale séduit tant de gens, sans qu’on s’explique pourquoi ? On est honteux de citer seulement ces beaux Ruysdaël, la Plage de Scheveningue, au duc d’Aumale, le Champ de blé, à M. Rothan, la Cascade, à Mme Duchâtel. Que de reproches le critique s’attirerait, si, volontairement et par esprit d’opposition à un engouement peu justifié, il passait sous silence Hobbéma, surtout quand il cesse de se copier lui-même pour regarder la nature, comme dans cette longue Avenue appartenant au marquis d’Abzac ; à ces heures-là, il est vrai comme les horizons brumeux de sa chère Hollande. Et Cuyp, ne saluerons-nous pas ses Vaches au pâturage, lui qui a vaincu Paul Potter et Wouverman ? Ils sont là tous trois, et chacun a fait de son mieux.


III

Mais quoi, ne traversons-nous pas forcément d’un pas aussi rapide ces salles où se pressent tant de figures sérieuses ou charmantes ? Ici la Fille de Philippe de Champaigne, une tête de sainte peinte par un père, ailleurs Mme de Sévigné, par Nanteuil, dont le temps a respecté, mais comme à regret, la plus fragile et la plus authentique image. Il faut bien laisser à la place où on les a hissés ces