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allemand. Maintenant, question plus grave que la méprise de Passavant, ce beau portrait est-il bien de la main à laquelle on l’attribue ? La conservation en est parfaite. Aucune retouche n’altère l’émail de la peinture, aucune surcharge ne rend le contour incertain : quel que soit le pinceau qui l’a modelée, cette image apparaît telle qu’elle dut être au sortir de l’atelier. Sans aucun doute, l’œuvre originale était de Raphaël ; doit-on voir ici une copie ? Nous ne le pensons pas. Ni la faiblesse de l’exécution dans certains détails, tels que les mains, ni la pâleur de l’aspect, ne suffisent à ébranler notre confiance. On sait par Vasari que Raphaël, accablé de travaux, livrait à des aides le soin de finir quelques-uns de ses ouvrages quand il en avait achevé les parties importantes. La Jane d’Aragon au musée du Louvre témoigne de la confiance qu’il mettait dans ses meilleurs élèves. D’ailleurs les défauts mêmes que nous reconnaissons sont-ils tels qu’ils puissent infirmer l’authenticité de l’ouvrage ? Le sens du dessin, qui est le cachet particulier du talent du Sanzio et comme une partie importante de son génie, ne consiste pas à poursuivre avec une exactitude d’anatomiste la vérité d’une forme. À ce compte, il y aurait peu de chefs-d’œuvre ; ce qui fait la valeur vraie du dessin de Raphaël, ce qui le caractérise aux yeux de ceux qui en ont le sentiment instinctif ou acquis par l’étude, c’est ce qu’on appelle la tournure, pour être plus net, c’est la beauté. L’exactitude n’est qu’une qualité de second ordre. Holbein est un peintre qui surprend par l’intensité du coup d’œil et le rendu scrupuleux, d’est un portraitiste incomparable ; mais une certaine vulgarité, qui paraît lui avoir été chère, l’empêche de franchir cette barrière qui sépare de si peu l’idéal de la réalité. A côté de Raphaël, on n’oserait pas l’appeler un grand dessinateur. — Le portrait du duc d’Urbin a toutes les qualités que nous avons essayé de définir, et que nul imitateur n’est parvenu à s’approprier. Que si nous passions à l’examen plus technique des procédés particuliers du maître, à la qualité de la pâte, à la manière de la poser, à la nature des ombres et des demi-teintes, les unes à la fois sombres et légères, les autres conduisant au plein épanouissement de la lumière par des transitions rougeâtres, il nous semble reconnaître ici toutes ces particularités très visibles pour ceux qui ont étudié dans les musées de l’Europe l’œuvre immense de Raphaël. Si ces raisons ne suffisent pas à fixer la certitude, nous cherchons à notre tour sur quels argumens s’appuie la négation. Le portrait du duc d’Urbin, de quelque main qu’il soit, est assez beau pour mériter une discussion sérieuse, et nous ne craindrions pas de l’avoir provoquée.

Les curieux s’arrêtent devant un petit tableau dans lequel on voit un vieux moine tiraillé au milieu du vide par des animaux