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Agnolo Doni, on ne connaît pas de peinture certaine de Michel-Ange antérieure à cette date. En tout cas, ce n’est pas pour les qualités dont Raphaël donnait déjà la preuve fréquente, qualités d’un naturalisme encore prudent, mais toujours sincère, que ces deux illustres maîtres auraient pu revendiquer une part dans l’invention et le mode d’exécution de la Vierge de la maison d’Orléans. — Ce charmant tableau, qui avait appartenu au frère de Louis XIV, passa dans la fameuse galerie que le petit-fils du régent fit vendre en Angleterre. Après diverses pérégrinations, elle fut acquise pour 24,000 francs par M. Delessert après la mort du banquier Aguado. M. le duc d’Aumale le paya 150,000 francs à la vente du dernier possesseur, dans cette même vente où Hobbéma balança le plus grand génie dont puisse se vanter l’art moderne.

Non loin de la salle où règne la petite Madone, le nom de Raphaël nous attire de nouveau. Nous voici devant un portrait : au milieu d’une loggia dont la fenêtre ouverte laisse voir la campagne, un jeune homme, le bras appuyé sur une table, regarde le spectateur. Sa tête gracieuse, couronnée de longs cheveux qui se répandent sur ses épaules, est couverte d’une barrette noire. Sa main gauche erre sur sa poitrine, un manteau tissé d’or se rejette avec de beaux plis sur une fine chemise. Tout dans cet ensemble indique et rappelle le personnage représenté, c’est Francesco-Maria della Rovere, préfet de Rome au moment où Jules II, son parent, confiait à Raphaël la décoration des chambres vaticanes. Deux fois le peintre d’Urbin représenta ce prince, qu’il connaissait depuis l’enfance et qui s’était fait le protecteur de sa famille, d’abord dans la fresque de la Dispute du saint-sacrement, bientôt après dans celle de l’École d’Athènes. C’est bien toujours le même doux regard, le même port de tête élégant, presque féminin, le même masque régulier comme celui de la statue antique ou comme le type impersonnel d’une beauté tout idéale. Passavant, qui a écrit sur Raphaël un livre où l’erreur se mêle trop souvent à des recherches consciencieuses, a mis en tête de ses deux volumes ce même portrait, en le donnant pour celui du grand peintre dont mieux que personne il eût dû connaître les traits. Où donc a-t-il retrouvé ici cette mâchoire un peu proéminente qui dérange la régularité du beau visage du Sanzio ? Où sont ces yeux aux orbites profondes dont la prunelle noire promène sur le spectateur un regard mélancolique et comme chargé de pressentimens ? A part un certain allongement de cou et l’arrangement de la chevelure, on ne retrouve rien dans le portrait appartenant au prince Czartoryski qui rappelle au souvenir la tête du musée des Uffizi, ni celle de la salle de la Segnatura, rien enfin qui puisse rendre compréhensible et facile à excuser l’erreur du critique