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comme par leur importance, dominent visiblement sur tout ce qui les entoure. On avait bien tenté, il y a plusieurs années, de rassembler quelques toiles fort belles, appartenant à des particuliers, à côté des collections Campana, lorsqu’on exposa celles-ci au Palais de l’Industrie ; mais, soit que le nouveau musée eût jeté sur ses voisins la défaveur qui s’attacha promptement à cette grande acquisition, soit que le public eût été mal renseigné, cette tentative passa pour ainsi dire inaperçue, et l’éclatant succès de l’exposition rétrospective de 1866 fut le seul qui laissa des traces dans le souvenir des amateurs. Il faut dire aussi que le goût et la mode ont changé depuis quelques années. Bien que les œuvres des peintres célèbres atteignent dans les ventes des prix exagérés, il est facile de constater que les objets d’ameublement, les porcelaines, les bronzes, les petites statues, sont plus généralement convoitées et mieux disputées. Il y a des cabinets intéressans qui ne contiennent pas un seul tableau. Autrefois il n’en était pas ainsi, et, si le journal de Duvaux, récemment publié par M. Courajod, nous prouve que le goût pour la petite curiosité n’était pas moindre au XVIIIe siècle que de nos jours, nous savons en même temps que les hôtels de la noblesse et de la grande finance regorgeaient de magnifiques peintures dont les débris, dispersés par la révolution, ont émigré presque tous en Angleterre et en Russie. On ne réparera pas ces pertes à jamais regrettables ; on ne reformera plus des collections comme celles de la maison d’Orléans, comme les cabinets Choiseul, Tallard et tant d’autres. Là on n’admirait pas seulement les productions de ces petits maîtres hollandais ou français si fort prisés aujourd’hui ; les plus grands artistes de l’Italie, Raphaël, Titien, y tenaient le premier rang à côté de Rubens et de Van Dyck. Rien n’est plus rare à l’heure présente que d’entendre livrer ces noms illustres aux caprices des enchères, rien n’est plus difficile que d’acquérir quelque toile où ils soient écrits sans conteste. C’est ce qui explique comment la nouvelle exposition, où se montrent surtout les produits des écoles secondaires, présente un aspect un peu uniforme. La faute en est au passé, qui nous à ravi nos richesses acquises ; toutefois ce serait être injuste que de trouver seulement en cette circonstance des sujets de plaintes inutiles. La vue de tant de belles œuvres doit imposer silence au souvenir, et, lorsqu’on sait que ces œuvres ne sont qu’une faible partie de celles que nous aurions pu admirer, si chacun avait répondu à l’appel sans réserve ou sans résistance, on prend avec une résignation momentanée son parti des caprices de la fortune et des crimes du passé.